Induction.

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Induction.

Le soleil recouvre les fleurs et les feuilles qui se prélassent dans la chambre, filant par la fenêtre ouverte. TaeHyung monte sur son bureau, avec précaution, passe par dessus le rebord et laisse ses pieds se poser sur le toit plat du garage. Il s'avance un peu. Sûrement que les commères du voisinage se demanderont ce qu'il fait là. Idiot. Jeune. Et inconsidéré. Il s'assoit en tailleurs au bord du vide et contemple le monde à sa maigre échelle. La porte du garage s'ouvre. Il tend l'oreille mais ne bouge pas. Quelqu'un l'appelle. C'est son père. TaeHyung baisse la tête pour le voir se tenir droit, un étage plus bas. Il ne lui demande pas ce qu'il fait là. Il ne demande rien. Pas de questions ni rien. Ni idiot. Ni jeune. Ni inconsidéré. Ça lui plaît. Et comme les yeux de TaeHyung sont une réponse, son père lui dit :

« -Je vais m'occuper de la voiture un peu. Tu viens ? »

TaeHyung le regarde quelques secondes en silence. Il ne répond rien. Il n'a rien fait avec son père depuis longtemps. C'est probablement pour ça qu'il se lève et rejoint sa chambre, ferme la fenêtre, laisse le papier et les fleurs derrière lui, puis retrouve son père dans l'allée. L'homme sourit. Puis ils montent dans la voiture et s'éloignent entre les maisons trop semblables d'un quartier encore neuf. Ils s'arrêtent dans une station près d'une galerie marchande. Les gens affluent de partout. C'est l'été. Et les jeunes se déplacent par groupe sous les devantures colorées. Tant de couleurs. Et toujours si vives. TaeHyung toise la vie en silence pendant que son père s'occupe de la machine, des pneus, de la carrosserie et de tout le reste. Quand il la lave, il y a des flaques d'eau à ses pieds, et le soleil brille à travers. Le béton scintille sous les converses blanches qui ont tout subi. TaeHyung repense à des tas de choses en voyant ça, mais ne ressent rien de particulier. Depuis tout ce temps, il a connu bien plus grandes beautés.

Au bout d'un certain temps de nettoyage consciencieux, ils s'en vont. Et TaeHyung pense qu'ils vont directement rejoindre la maison, pourtant son père prend une autre route, et il y a des voitures luisantes de partout, traversant la grande voie, au milieu d'une ville jamais vide, jamais calme. Ils roulent quelque temps avant de se retrouver sur un parking, sur une des nombreuses collines, avec un vaste panorama et peu de touristes dans ce coin là. Il y a juste un terrain de tennis à leur gauche, le sol y est bleu, bleu vert, mais pas trop non plus. Le père de TaeHyung sort de la voiture. Son fils le suit et en fermant la portière, il aperçoit quelques joueurs sous le soleil, jouant et criant un peu. Ils ont l'air heureux. TaeHyung longe la Ford de nouveau comme neuve et s'appuie contre le devant, à la droite de son père. Celui-ci sort un paquet rouge vif de sa poche, sort une cigarette du paquet, la met dans sa bouche et l'allume. La fumée envahit l'air déjà chaud. Et TaeHyung toise les formes gracieuses qui s'envolent. Silence au sein du bruit.

« -Tu as revu le médecin ? »

TaeHyung détourne le regard sur son père qui fume, le visage un peu pâle, comme s'il avait égaré quelques couleurs en chemin. TaeHyung répond que oui il a vu le médecin, que le médecin a dit qu'il était mieux et que s'il continuait à prendre du poids il n'aurait pas à aller à l'hôpital. Son père hoche vigoureusement la tête pendant qu'il parle. Puis il prend une bouffée, expire.

« -Parfois, j'ai vraiment le sentiment d'avoir raté quelque chose » dit-il, pensif.

TaeHyung ne répond rien. Il se contente de le regarder, puis de regarder la vue au loin. Alors l'homme terne reprend de sa voix grave, abandonnée.

« -Ta mère... Ta mère a toujours été un peu... un peu perturbée. Je me suis souvent dit – sans me l'avouer vraiment – qu'elle n'était pas ce qu'il y a de plus sain. Quand je l'ai rencontrée au lycée, tout le monde l'aimait. Elle a eu tout un tas de garçons à ses pieds, tout un tas de filles à sa suite. Tout le monde l'aimait. Et elle le savait. Elle avait la fâcheuse tendance de prendre les gens pour du matériel, de les jeter à l'éphémère pour une raison ou une autre. Elle était le centre du monde. Moi... moi, je l'admirais de loin. C'est elle qui m'a mis la main dessus. Alors j'ai fait comme tous les autres. Je lui aurais tout donné tu sais. Je l'ai fait d'ailleurs. Je lui ai tout donné. »

Un silence aussi lourd qu'un soupir suit la fin de sa phrase. Mais TaeHyung ne dit rien.

« -Ce n'était pas aussi simple chez elle. Je crois que... je crois que quand elle voyait son reflet dans ce vieil appartement miteux, elle avait honte. Et elle avait honte de ses parents. De son père con et de sa mère soumise. J'ai toujours pensé que ça avait déraillé après notre mariage, maintenant j'imagine ..., enfin je sais, que c'est la simple conclusion de toute une vie, la révélation de quelqu'un qu'elle a camouflé sous des sourires et beaucoup d'amour – l'amour des autres bien sûr. Il a suffi d'un élément déclencheur, un seul. Et ça s'est cassé, à l'intérieur, une corde, quelque chose. Quand tu es né, j'ai vu dans ses yeux... j'ai vu qu'il n'y avait rien. Un grand vide. Et depuis j'ai compris qu'elle a perçu en toi toute l'horreur de sa propre vérité. Elle t'a haï, pour ça. »

TaeHyung ne dit rien. TaeHyung l'écoute en silence, les yeux lucides.

« -Elle est folle. Malade dans sa tête. Elle aimerait que tout soit comme avant, qu'on l'aime. Je lui ai tout donné tu sais. Elle a tout pris. Et je crois que je n'ai plus rien. »

TaeHyung se redresse, se tourne vers son père et dit d'une voix calme :

« -On ne peut pas donner de l'amour à ceux qui n'en veulent pas. »

Il lui sourit, avec un peu de compassion dans le regard. Son père sourit aussi, sans joie.

« -Tu m'en veux parfois ? Dit-il après un moment d'apathie.

-Ce serait tellement plus facile de dire non. »

Le père baisse la tête regarde dans le vide. Sûrement qu'il aimerait faire quelque chose, agir pour ne pas éprouver de regrets, lui dire que ça va aller, que papa l'aime, que maman l'aime, qu'il a le droit de répondre non, que les gens sont gentils et qu'on peut tout recommencer dans un monde parfait. Mais ce serait quelques phrases pour dix huit ans de silence ; rien n'a plus de sens. Alors TaeHyung a les yeux vagues, l'âme au chaud. Et son père dérive ailleurs :

« -Je pense que je vais emmener ta mère voir un psychothérapeute. Ça pourrait peut être l'aider, oui, peut être. Et sûrement qu'après, elle sera heureuse. »

Le père et le fils se regardent droit dans les yeux, l'homme sourit. Mais aucun des deux ne croient à ces mots. Mais ça n'a pas d'importance. Ça n'a plus d'importance. Tout est dit.
A présent,

il faut laisser aux humains le droit d'être libre.

Et dans cette même réalité, TaeHyung demande à son père de le déposer sur un boulevard, et de là il se met à courir pieds nus. Et il est si libre qu'il aimerait hurler. Et sûrement qu'il le fait.

Âmes Poétesses - TaeKookWhere stories live. Discover now