Chapitre 9 : Les propos de Roy

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Ce fut avec un soupire contrit que Thémis se présenta à la salle à manger. Sa famille se trouvait attablée autour d'un repas des plus copieux, éclats de rire et anecdotes croustillantes au rendez-vous.

- ... retrouvées dans une position compromettante chez les Riverston. La famille de lady Rosliwood pense l'envoyer loin de Londres, le temps que les commérages se calment. Néanmoins, qui oublie ce genre de choses ?    ... avec une autre femme, vous rendez-vous compte ?! - sa mère l'aperçut -. Oh, chérie, tu es enfin descendue ! On dirait que le bain t'as fait du bien. Mange, tu as besoin de reprendre des forces. Deux jours qu'on essaye de te réveiller mais sans succès, je me suis fait un sang d'encre ! Le docteur pensait à un empoisonnement par propane, il t'a fait une saignée.

- Et puis des sangsues sont venues te purifier, dit un Gaspard rieur. Elles gonflaient au fur et à mesure qu'elles te pompaient le sang.

A la simple mention de ces bestioles, la peau de Thémis se hérissait. Elle croyait sentir la présence de ces animaux visqueux sur elle. Cette technique ne se pratiquait plus depuis longtemps, sa mère devait être désespérée pour faire appel à une pratique si archaïque.

- Ne pensons plus à cela. Où est Lysandre ?

- Elle est rentrée chez elle manger avec le duc San Silvestre et son mari. Ils t'attendent... « là-bas » - répondit sa mère interrogatrice, elle préféra l'ignorer.

- Mais avant que tu ne partes, je veux qu'on parle de ton futur.

Ces paroles résonnèrent comme une sentence en elle, Thémis pouvait presque entendre le glas funèbre des cloches carillonner. Roy avait revêtu son masque d'héritier, celui qu'il endossait depuis que leur père le laissait aux commandes des Barowmerry. L'inquiétude la submergea alors qu'elle attendait que Roy formule ses pensées.

- A l'âge de vingt ans, de nombreuses jeunes filles sont mariées ou en quête d'un époux. Je ne t'obligerai jamais à t'attacher à un homme qui te rendra malheureuse. Mais il est l'heure. Dans deux voir trois ans, la société te considérera comme une vieille fille. Tes possibilités de trouver un mari, déjà faible par le métier que tu exerces de ton plein gré et sans raison aucune d'un point de vue extérieur, seront nuls.

- Je le sais.

- Alors tu dois comprendre ma décision. A partir de maintenant, tu assisteras à tous les bals de la Saison. Tu paraderas dans de belles robes, tes enquêtes ne seront plus une priorité. Et s'il faut, si à la fin de cette année tu n'acceptes pas de demandes en mariage...

- Non, tu n'oseras pas ?! Je veux être libre ! Continuer ma vie comme elle l'est !

- Epouser un homme ne veut pas dire perdre sa liberté, tu seras sous la tutelle d'une autre personne que père ou moi.

- Et pourquoi je ne pourrai pas vivre sous ma propre tutelle ? Habiter dans une garçonnière semblable à celle de Gaspard, que je payerai avec mon salaire d'inspectrice ?

- Parce que cela va en contre des convenances.

- Alors laisse-moi continuer à vivre ici.

Les larmes ruisselaient librement sur ses joues, Thémis ne les contint pas. Elle voulait que Roy puisse voir la douleur que ses propos lui provoquaient. Son regard se porta sur le reste de sa famille, mais ceux-ci baissaient les yeux sur leur repas. Lâches.

- Je ne veux que ton bien.

Des mots en trop, des paroles mensongères.

- Excusez-moi, mais on m'attend.

- Chérie !

Un cri au loin, des pas précipités, un sanglot. Que son cœur lui faisait mal, ravagé et emplit de pourquoi...

Carpe Diem : Folies NocturnesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant