Chapitre 20 : Le premier pas.

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Une fois Lincoln partit avec une Lady Windellford oscillant sur ses pieds, Desiderio monta les escaliers quatre à quatre. Il traversa le couloir, toqua à la porte menant à la chambre de la comtesse, puis l'ouvrit sans attendre de réponse. Thémis s'était endormie dans une position inconfortable. Sa tête reposait sur la couette alors qu'elle était toujours assise sur le fauteuil.

Ses ailes avaient disparu, laissant au découvert un dos dévoilé par la déchirure que causa leur apparition. Un peu énervé qu'elle ne soit pas en train de l'attendre, il s'approcha sans atténuer le son de ses pas. Un tatouage dessinait à la perfection ses ailes, comme une trace indélébile à ne jamais oublier. Ainsi donc, elles s'étaient rétractées une fois le travail accomplit mais restaient prêtes à se déployer selon la volonté de la guérisseuse. Cela aurait forcément une conséquence sur les pouvoirs liés à son sang. Desiderio nota dans un coin de sa tête cette information. Il lui semblait incroyable qu'un corps aussi menu contienne une telle puissance !

Comme si elle sentait sa présence, Thémis grogna puis cligna des yeux à plusieurs reprises avant de le remarquer. Courbaturée, elle se releva les jambes en coton et prit la robe de chambre qu'il lui tendait. Le remerciant, elle s'en habilla pendant que le duc s'approchait de la carafe d'eau posée sur la commode. Alors qu'elle allait se saisir du verre qu'il lui tendait, leurs doigts se touchèrent. Tous deux se figèrent. Ce fut un effleurement, rien de notable en soi, pourtant la jeune femme avait l'impression d'une caresse brûlante. Et au vu du souffle rapide de son homologue, il ressentait aussi ce courant électrique circulé entre eux à chaque toucher. Thémis était déstabilisée.

Derrière une alcôve, une plante ou aux claires de lune, l'adolescente avait été entrainée à l'art du baiser. La réminiscence d'une scène de son passé la poursuivait sans cesse.... Geisha, Thémis avait souvent vu sa mère accompagner les hommes dans les maisons de thé, réceptions et banquets. Convoitée comme elle l'était, sa mère fut la confidente des membres les plus importants du Japon. Ils se pavanaient avec leur plus belle parure au bras, sachant qu'elle éblouirait ses interlocuteurs de sa sagesse et de sa grâce.

Un jour, attirée par les gazouillis joyeux de sa mère, la fillette ne put s'empêcher de chercher l'origine de cette gaieté. Des silhouettes, en ombre chinoise, étaient intimement enlacées. Mais ce qui la surpris le plus fut le rire léger et lumineux de sa mère. Un rire qu'elle n'entendait que lorsqu'elles étaient toutes les deux ensembles, à l'abri des regards. C'est alors qu'elle les sentit : les ondes d'amour qu'ils dégageaient et inondaient la maison d'une senteur estivale...

Semblable à ces jeunes filles soumises aux hormones, Thémis aimait se sentir désirer et laissait avec plaisir les jeunes étalons l'emmener loin des regards pour goûter à ses charmes exotiques. Elle savait ne rien craindre, ses frères lui avaient appris à se défendre contre les plus fougueux. Qui pensait que se cachait entre leurs jambes une zone si sensible aux coups de genoux ?

Mais voilà, en entrant dans les forces de police, Thémis avait mis de côté cet aspect insouciant de sa personnalité et reléguée au fond de sa mémoire, le souvenir d'un amour ensoleillé. Maintenant, les choses avaient changé. Thémis ne savait plus comment se comporter après cette démonstration d'affection. Certes, Lady Julia était morte et elle, effondrée à ses pieds, ne voulait pas croire à pareille cruauté. Il l'avait seulement enlacé, tout comme n'importe quel ami l'aurait fait, se persuada-t-elle. Vraiment ? contrattaqua une petite voix perfide. Peux-tu seulement le considérer comme un ami ? Un ami ne t'aurait pas embrassé...

Ses joues se colorèrent d'un rose délicat et son visage s'anima. C'était la troisième fois qu'il faisait preuve de considération envers elle et Thémis en était touchée. Il avait beau avoir un comportement froid, à la limite de l'impolitesse, le métamorphe savait se montrer doux et être une oreille attentive quand la situation le nécessitait. Elle s'exhorta au calme afin qu'il ne découvre pas son émoi.

Son visage taillé à la serpe était sali par la poussière de l'explosion, ses habits froissés. Les yeux de Thémis s'attardèrent sur les gouttes de sang ici et là. Malgré son aspect débraillé, il était un appel à l'interdit. Et Thémis avait peur. Elle n'avait encore jamais franchi cette limite-là. Si une femme pouvait côtoyer un surnaturel, entretenir une relation plus qu'amical avec cette race inférieure était mal vu, bien que cette « règle » n'empêchât aucunement les vénales d'être attirées par eux. Toutefois, Thémis n'était pas ce genre femme. Elle ne souhaitait pas son bonheur au détriment de celui de sa famille.

Elle soupira lourdement. Jamais Roy n'accepterait une quelconque relation avec San Silvestre... et qui lui disait que ce dernier voulait avoir affaire avec elle ? Thémis était trop...trop...et pas assez....

- Tout va bien ?

La jeune femme sursauta. Plongée dans ses pensées, elle avait oublié la présence du métamorphe. Desiderio s'était rapproché d'elle au point où son souffle heurtait son front. Elle leva le regard puis le baissa tout de suite après. Il était beaucoup trop près d'elle. Son cœur entamait une course qu'elle sentait ne pas pouvoir arrêter....

- Excusez-moi, dure journée.

Elle recula d'un pas mais il la suivit. La prenant par surprise, Desiderio posa une main sur la joue de Thémis.

- Tu as meilleure mine. Comment te sens-tu ? Et madame ?

Pourquoi la tutoyait-il ? Est-ce que leur rapprochement lors de ces dernières vingt-quatre heures permettait une telle familiarité ? Sa naissance en tant que guérisseuse était, pour l'instant, assez floue. Elle ne se remémorait que la douleur et le désespoir qui l'avaient assaillie une fraction de seconde. Elle ne voulait pas rencontrer son regard, alors elle fixa la partie basse de son visage afin de s'éclaircir les idées.

Une légère ombre recouvrait sa mâchoire puissante. Pour l'instant, sa denture était des plus normales mais il pouvait aisément faire grandir ses crocs, au point d'en devenir terrifiant. Parfois, elle oubliait qu'il était un surnaturel amant de chair fraîche. Toutefois, malgré le fait qu'il soit un dangereux prédateur, elle se savait en sécurité avec lui.

- Fatiguée, affamée... rien de bien méchant. Quant à ma mère, on ne saura comment elle se sent que lorsqu'elle se réveillera.

- Tout ira bien pour lady Julia. Tu l'as guérie grâce à l'affection que tu ressens pour elle. C'est toi qui m'inquiètes. La métamorphose a épuisé ton corps. Tu devrais retourner dans ta chambre. Une bonne nuit de sommeil et tu seras vite remise, lui conseilla le Primum.

Sa phalange testa la douceur de sa peau. Encore et encore, comme s'il ne se lassait jamais de la toucher. Elle leva la tête pour voir l'or liquide de ses yeux. Mais ce qu'elle y vit inhiba ses terminaisons nerveuses.

Oh, et puis zut !

Elle décida d'accepter les trémolos de son coeur. Cette fois-ci, elle se promit de ne pas flancher sous les mots du duc et fit le premier pas ! Thémis agrippa le col de sa chemise presque violemment et posa ses lèvres sur les siennes.

Carpe Diem : Folies NocturnesWhere stories live. Discover now