Chapitre 18 - 1 : L'éveil...

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Pendant d'interminables secondes, le temps parut s'être arrêté. Les témoins qu'on discernait aisément à travers le trou béant du salon restèrent paralysés, la bouche entrouverte d'effroi. La pluie cessa un court instant avant de redoubler de vigueur, accompagnant cette peine lancinante qui consumait la jeune femme de l'intérieur.

La comtesse Julia Barowmerry était morte.

Cette constatation serra le cœur de Thémis. Ses cris déchirèrent l'air tandis que ses mains secouaient le corps encore chaud de sa protectrice. Après sa mère biologique, voilà que maintenant, la vie lui arrachait Lady Julia, lui donnant le sentiment de perdre une deuxième mère. Thémis pleurait toutes les larmes de son corps, secouée de violents tremblements. Ses pleurs dessinèrent des tracés humides sur son visage sali par l'explosion. Dire que la culpabilité la tenaillait était un euphémisme. Si seulement le besoin de prouver sa valeur, son besoin reconnaissance, ne l'avait pas poussé à courir derrière le Couturier.

A quelques centimètres d'elle, Desiderio était torturé par le besoin impérieux de la consoler, et celle de la voir éclore. Dans un écho lointain, en rythme avec sa guérison, les débris de verre se détachèrent de son dos. La douleur diminua jusqu'à ce que ces griffes acérées disparaissent enfin, le laissant libre de ses mouvements. Etre un métamorphe avait ces avantages et ces inconvénients, l'un d'eux fut d'entendre le cœur de Thémis se briser. Il s'assit derrière la jeune femme et la serra contre lui. Fort. Voulant la protéger du mal qui la guettait, bave aux coins des lèvres. Peu importe si on les voyait enlacés ou s'ils créaient scandale, son âme-soeur sollicitait son aide. Jamais Desiderio n'avait été possessif, jamais il n'aurait cru l'être...Et pourtant, alors que la créature frêle et brisée qu'il tenait entre ses bras s'accrocha à lui de toutes ses forces, il se sentit comme le plus heureux des tigres.

Le nez enfouit dans son cou, s'abreuvant de l'effluve vanillée du duc, Thémis sanglotait bruyamment.

— Elle...elle est morte...à cause de moi.

— Chut, mi amor, ce n'est pas ta faute, la rassura-t-il, la tutoyant pour la première fois. Ta famille a beaucoup d'ennemis, on trouvera qui est l'auteur de ceci. Et tu la vengeras.

Desiderio balaya sa crinière noir corbeau pour lui planter un tendre baiser sur la nuque. Sa peau se hérissa sous le doux contact.

— Tu n'es pas devin, tu n'aurais pas pu prévoir cette attaque.

— Mais Luaya, elle, pouvait le faire ! s'exclama Thémis, les yeux brillant de rage. Pourquoi n'a-t-elle rien dit ?! On aurait pu éviter l'assassinat de... Elle ne serait pas...Non ! Elle ne l'est pas tu m'entends ?! cria-t-elle alors que ses petits poings se défoulaient sur son torse. Elle ne peut pas l'être ! Elle...elle dort. C'est cela...son corps est écrasé par le sofa, il est tout à fait normal que Julia soit épuisée.

— Chut...Avec le temps, la douleur s'atténue. Laisse ton chagrin s'exprimer, n'ais pas honte de déverser tes larmes.

San Silvestre la laissa se défouler sur lui jusqu'à l'épuisement. Ses pleurs se tarirent et elle se calma enfin. Mais alors qu'il la croyait abattue par l'évidente vérité, Thémis se redressa, une lueur déterminée dans le regard.

— Il y a un moyen de la sauver. Il n'est pas encore trop tard.

— Elle est morte, mi amor ! Que veux-tu donc faire ? La ressusciter, la ramener du Royaume d'Hadès ?

— Oui ! S'il y a bien une personne capable de défier la mort, c'est moi... Je...je suis une guérisseuse de l'âme San Silvestre, lui avoua-t-elle. Une surnaturelle capable de guérir les personnes qu'elles aiment, d'autant plus si elles ont le cœur pur. Je peux sauver Julia.

Décontenancée par cet aveu, le duc nageait dans un maelstrom d'émotions. Le moment était venu...

— Oh, Thémis... soupira-t-il. Tu étais trop jeune pour sauver ta mère, ne te sens pas coupable pour une chose que tu n'as pas commise. Les Ombres sont des êtres redoutables. Ta mère s'est sacrifiée pour te sauver. C'est cela et rien d'autre que tu dois retenir de cette mésaventure.

— Tu es au courant ? lui demanda-t-elle incrédule, le laissant nettoyer son visage à l'aide de sa redingote, oubliant qu'il paraissait connaitre son passé dans les moindres détails.

Sa nature avait été scellée par un puissant sort, seule son âme inodore et sa résistance naturelle aux charmes des surnat' pouvaient la trahir... mais dans une ville submergée par les émanations des londoniens et de leurs inventions, qui viendrait la renifler de près ?

— Ton histoire n'est un secret pour personne, cariño.

— Oh...

— Toutefois, savoir que tu es une guérisseuse est assez surprenant, lui dit-il en embrassant le bout de son nez. Tu es une espèce très très rare, presque en voie d'extinction. Vois-tu, les guérisseuses sont recherchées pour leurs capacités extraordinaires. Dans la plupart des cas, on préfère vous tuer plutôt que de vous laissez vivre.

Thémis soupira fortement.

— Je connaissais plus ou moins le danger que représentait les autres surnaturels, même avant de rencontrer le Mikado. Ma mère avait l'habitude de me chanter une vieille chanson de famille, héritée de nos ancêtres les Onna-bugeisha. Elles combattaient à côté des samouraïs, tu sais. Fières de leur choix, belles comme le jour et aussi redoutables que la plus affûtées des lames.

— Je vois certaines de leurs caractéristiques en toi, lui lança-t-il pince-sans-rire.

La mine ravie, l'inspectrice acquiesça.

— Tu comprends donc pourquoi je dois le faire !

— Faire quoi ? questionna-t-il, confus.

— Regarde et n'interviens pas, lui intima Thémis.

Elle se défit de son étreinte pour se pencher au-dessus de la défunte. Une dague dans la main, Thémis s'entailla l'avant-bras au-dessus de la bouche entrouverte.

— Où as-tu eu ce poignard ?

— Une femme doit toujours être bien accompagnée, lui répondit-elle.

Si elle s'était retournée, San Silvestre aurait pu voir l'onyx de ses yeux se transformer en diamants d'un bleu topaze. Toutefois, le duc ne vit que son dos onduler... 

Le sang de Thémis glissa le long de la gorge de Julia. Une fois qu'elle jugea la quantité suffisante, elle ôta son bras et le banda d'un morceau de tissu arraché à sa robe. Elle plaça ses mains tremblantes à l'emplacement du cœur et se mit à chanter. Desiderio ignorait la signification de ces mots à l'intonation suave. Sa voix paraissait regorger d'une énergie nouvelle et ancestrale. Il sentait son être vibrer sous cette magie ancienne.

Brusquement, des filigranes luminescents surgirent des doigts de la jeune femme pour recouvrir le corps de sa mère, formant ainsi un cocon de lumière. San Silvestre se recula lorsqu'il vit le comportement étrange de sa compagne. Thémis s'arqua comme étirée par des fils invisibles, les muscles du cou tendus à l'extrême. La même lumière qui entourait le corps de sa mère l'enveloppa. Un sourire extatique prit possession de ses lèvres. 

Puis, dans un bruit sec, des ailes apparurent. 

Carpe Diem : Folies NocturnesWhere stories live. Discover now