Chapitre 19 : Comment aurait-il pu savoir ?

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Il regardait sans comprendre le nouveau comte des Barowmerry. Son fidèle masque d'inexpressivité en place, Desiderio ne laissa rien paraître de sa perplexité ni du scepticisme qui l'habitait. Pourquoi Roy voulait-il mettre en prison son père ? Cette action ferait à coup sûr scandale, détruisant par la même occasion sa famille et les relations commerciales des Barowmerry avec les clans les plus puissants d'Angleterre. De plus, leur envie de se développer chez les Américains deviendrait beaucoup plus difficile. Desiderio n'avait entendu parler d'aucune querelle. Et selon les dires de l'aînée, les frères se cantonnaient à leur respectif domaine d'intérêt, n'empiétant pas sur leurs plates-bandes respectives.

— J'imagine que cette arrestation devra se faire en toute discrétion, lança-t-il pour tâter le terrain.

— Vous visez juste. Je compte sur vous pour ne pas répandre la nouvelle et faire de nous la coqueluche de Londres, au risque de blesser Thémis.

— Bien entendu.

— Questionnez-le sur Martin King, sur ses projets actuels, sur le rôle de Gaspard... sur tout ce qui a trait avec mon père !

— Lord Richard n'a pas tué monsieur King, il lui était trop précieux, précisa le métamorphe en entendant l'accélération de son pouls. Il connaissait chaque enchainement mécanique pour aboutir à une calèche volante parfaite. Maintenant, votre père doit combiner l'intelligence des vampires et l'expérience de ses ouvriers pour arriver à un résultat correct.

— Je n'y avais pas pensé. Cela expliquerait ses absences répétées et sa virulence lorsqu'on prend de ses nouvelles, dit le comte en passant une main dans sa barbe cuivrée. Connaissez-vous le nom donné à l'invention du siècle ?

— Dites-moi, l'incita Desiderio, une moue amusée sur les lèvres.

— Une automobile, articula lentement Roy.

Son interlocuteur resta silencieux, en attente de la suite. Qui aurait cru que Lord Richard était si original à l'heure de baptiser une création. A moins que ce ne fût l'œuvre de Gaspard. Vu son tempérament roublard, le cadet des Barowmerry cachait encore bien des surprises.

— Cela proviendrait de la juxtaposition du préfixe grec αὐτός et d'un suffixe latin mobilis. Qui se meut de soi-même, sans l'aide d'un caléchier.

Trois coups attirèrent leurs attentions. Roy fronça des sourcils face à cette interruption, mais d'un signe de la main, le Primum le rassura. Il reconnaissait l'odeur.

— Entrez !

Lord Royal passa le seuil du bureau, l'air grave. A première vue, il venait de se métamorphoser. Il portait sur lui un vulgaire pantalon et une chemise à moitié boutonnée, quelques plumes brunes agrémentaient la tenue. En bon hôte, Roy lui présenta un verre de brandy que Lincoln but d'une traite. Ce comportement insolite les intrigua. Lui d'habitude si imperturbable tergiversait sur la cause de sa visite. Ses yeux alternaient entre les deux hommes face à lui, ne sachant visiblement pas où se poser.

— Asseyez-vous donc et crachez le morceau !

Lincoln refusa l'invitation d'un mouvement de tête. Nerveux, il se resservit. Finalement, après avoir fait disparaitre le liquide alcoolisé plus vite que son ombre, il s'assit sur le bord de la table en bois massif, les bras croisés.

— Lorsque je suis revenu en ville voir ma femme, un bruit assourdissant fit soudain trembler le quartier de Westminster. Une fumée grisâtre s'éleva dans le ciel, et des cris se firent entendre. La foule était rassemblée autour de votre maison, mais de là-haut... je... j'ai cru... non... je suis sûr d'avoir entraperçu une chevelure rousse s'en aller par-derrière !

Carpe Diem : Folies NocturnesWhere stories live. Discover now