Chapitre 28 : La belle Catherine.

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Caïn regarda la longue silhouette de son ami disparaitre dans la profondeur boisée, portant entre ses bras le corps inerte de Thémis. Il se pourlécha les lèvres, recueillant du bout de la langue les dernières gouttes d'hémoglobine, se délectant de son goût raffiné. 

Pourtant, quelque chose clochait. 

Il le percevait sans toutefois mettre le doigt dessus. Le sang paraissait avoir perdu de sa vitalité, de sa lumière.  « Mais cela ne se peut, n'est-ce pas ? ». Caïn oubliait que sa victime n'était pas vierge de toutes morsures. Elle en possédait une, cachée par le col de son peignoir. Faite par son indiscipliné de tigre.

~*~

Ils se dirigèrent vers le port à une vitesse hors norme. Les senteurs salées de la mer et de poiscaille agressèrent son odorat. Il pouvait entendre les tavernes bondées de marins braillant leur bonheur alcoolisé. La jeune femme qu'il soutenait telle une mariée soupira dans son sommeil. 

Le Mikado résista du mieux qu'il le put, mais son regard descendait inlassablement vers Thémis. Elle avait un air si paisible quand elle dormait, éclairée par la vie du port ! Les lumières jouaient avec sa peau veloutée, lui conférant une teinte charmante en dépit de l'exsanguination subite. Malgré lui, son esprit assimila ce rituel nocturne à des souvenirs douloureux. Il se sentit partir dans des contrées lointaines. A une époque où la sauvagerie du paysage se confrontait à la rudesse des personnages.

Il y en avait partout. Une mare écarlate qui ondulait sous le souffle rance de la terreur. Des moines et leur capuche si pointue, hissée vers le ciel comme une justice implacable. Ils luttaient pour une vie meilleure, où les créatures de Satan ne fouleraient la Terre de Dieu sans conséquence. 

« Vous êtes condamné pour hérésie, sorcière, asséna l'Inquisiteur. Qu'on la brûle ! Que le feu purifie son âme damnée par le murmure du démon fourchu ! ».

C'était faux ! Il mentait, cet homme d'Eglise parjurait ! Il le savait. Ils le savaient. Tous. Elle était innocente ! Il voulait le dire, pleurer, beugler l'iniquité de cette sentence. Mais le Mikado savait qu'il ne servirait à rien de lutter. La décision avait été prise. 

Il tourna la tête à droite puis à gauche, observa derrière lui. Il ne croisa que des regards vides de volonté, apeurés, priant pour ne pas être les prochains à se consumer dans une frénésie hérétique dépourvue de sens. Personne ne contesterait cette infamie, au risque de se trouver à la place de sa femme. 

Aidez-la ! Sauvez-la ! 

Il poussa la multitude de personnes rassemblées devant cette mascarade. Il devait la rejoindre, il devait la sortir de l'étreinte perfide des moines. Mais contre toutes attentes, on le retint. Ses amis, ses connaissances, ces visages auxquels il souriait habituellement. Il se débattit, il les injuria. Il fut englouti par la foule. 

Une lamentation parvint à ses oreilles : si discordante, si perçante que la population amassée là se boucha les oreilles. Non ! La mélopée alla en descrendo jusqu'à ce que la femme, crucifiée sur une croix grossière, ne fonde sous la chaleur. Non ! Son cœur explosa en mille morceaux. Il devint fou. On eut dit qu'il était possédé. On ne parvint à le retenir. 

Il fendit la cohue et réussit à toucher l'épaule d'un des soldats délimitant la zone. Celui qui tenait le flambeau. Sous la surprise, ce dernier voulut se débarrasser de son agresseur...et le heurta de la torche, lui brûlant la moitié du visage. 

La souffrance lui coupa le souffle. IL était dans un état de béatitude orgastique. Plus rien n'existait à part ce feu qui le poussait toujours plus près de sa femme. « J'arrive ma douce, j'arrive ». 

Après cela, le Mikado ne se souvint de rien. Il tombait dans un puits sans fond, anéantit de douleur, sans réussir à avaler une seule bouffée d'air. 

Adieu, Catherine....

Le Masque d'Acier revint brutalement à lui, au présent, au port. Depuis quelques semaines, il ruminait de vieux souvenirs. Les souvenirs d'une autre vie, qu'il avait enfoui au plus profond de son âme — s'il en restait encore quelque chose —, si éloignée de celle actuelle, de celle qu'il n'aurait jamais dû connaitre ; qu'il sut que la magie se cachait derrière.

« Luaya, maudite sorcière, quel sort m'as-tu jeté ?! Sale garce, me faire éprouver ces sentiments mièvres et inutiles ! A moi ! Si je ne l'avais pas déjà fait, j'aurai mis fin à tes jours de mes propres mains ! »

A sa vue, il ressaisit promptement, afficha son perpétuel masque de froideur et se dirigea à grands pas vers le navire des Barowmerry. Sur le pont de Pauline, une chevelure cuivrée se faisait malmener par le vent marin. Il n'y avait nulle trace d'humanité dans son regard bleuté.

— Une femme à bord d'un navire est synonyme de malheur.

Le Mikado haussa les épaules.

— Elle n'est pas vraiment humaine. Je suis sûr que vous n'aurez aucune difficulté à faire adhérer vos hommes à votre vision de la situation.

Comme pour confirmer, Gaspard hocha la tête. Il avait prouvé à maintes reprises sa valeur à son équipage, gagnant leur respect et leur obéissance absolu. Le Mikado monta sur le navire afin de déposer son fardeau. Ils devaient quitter Londres au plus vite, parce qu'ils ne doutaient pas que San Silvestre était déjà à leur poursuite. 

Carpe Diem : Folies NocturnesWhere stories live. Discover now