Chapitre 16- 3 : La poupée endormie.

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La gare de Saint-Pancras se situait entre le nouveau bâtiment de la British Library à l'ouest et la gare de King's Cross à l'est. Composée d'une structure métallique apparente, le toit de la gare se fit en verre, un matériau tout en transparence qui se voulait être à l'image de la nouvelle société. Saint-Pancras fut construite sur un cimetière, ce qui posait certains problèmes au niveau de l'inclinaison et de la forme irrégulière du terrain.

Néanmoins, les architectes étaient si désireux d'impressionner Londres avec leur nouvelle gare de style néo-gothique, qu'ils ignorèrent les souffles fantomatiques qui gémissaient avec sensualité dans leurs oreilles. Les sorcières leur avaient donné des pierres de protection contre les entités négatives et les gobelins surveillaient étroitement la zone en travaux, évitant qu'un surnaturel égaré ne vienne les manger. Tout le monde y trouvait son compte, Saint-Pancras était destinée à mener une vie paisible...n'est-ce pas ?

Le responsable des trains regardait d'un œil torve les individus face à lui. La journée avait débuté de la manière la plus improbable possible. Premièrement, la découverte d'une valise dont les parois rigides étaient couvertes de sang, l'avait empêché d'engloutir le sandwich fait par sa tendre épouse. Deuxièmement, alors qu'il allait entreprendre la dangereuse tâche de se curer les ongles avec son couteau à cran d'arrêt doté d'une lame de vingt-cinq centimètres, la police venait sonner à son guichet.

En y pensant, cela n'était aucunement inattendu. On ne découvrait pas tous les jours un corps plié en quatre dans une valise en cuir souple aux heures de pointe. Jack espérait simplement ne pas se couper un doigt, ça femme ne lui pardonnerait jamais.

- Eh bien ? le questionna froidement le gaillard face à lui.

- Il faut un mandat pour ouvrir la malle, mon ami.

- Lieutenant Kingdom, grinça-t-il des dents.

- Cela ne change rien, il faut toujours un mandat.

- Ecoutez, il est fort probable que cette malle contienne un cadavre.

- Pour sûr qu'elle en contient un ! s'exclama Jack tout en se nettoyant l'ongle du pouce. Je l'ai vu de mes propres yeux !

- Si vous l'avez vu, nous le pouvons donc aussi.

- Pas selon la politique de la gare, lieutenant. Vous ne pouvez pas violer l'intimité d'un passager.

- Mais vous avez dit vous-même avoir ouvert cette malle ! Si quelqu'un a ici le droit de faire fi des convenances c'est bien nous, répondit Kindgom. Son doigt montra la dame sagement assise plus loin et son propre badge.

Pour seule réponse, le responsable des trains haussa les épaules. Deux mains malmenées par le temps et la guerre se posèrent sur le guichet derrière lequel Jack se cachait. Lentement, son regard croisa deux fentes glacées par la colère. Avec un air mi-surpris, mi-résigné Jack déposa le couteau et décida d'appeler le directeur.

- Oui oui Devis, un cadavre d'un mort !

Kingdom roula des yeux en direction de sa supérieure.

- Lieutenant ? Il semblerait que le cadavre compense le manque de mandat.

~*~

Thémis avait du mal à imaginer le Couturier dans un endroit tel que celui-là. Une gare était un lieu de passage. Un endroit mouvementé. Or, il paraissait aimer prendre son temps pour tuer. Il se nourrissait de la souffrance de ses victimes et repartait toujours avec son couteau. Il théâtralisait les scènes de meurtres et l'inspectrice ne doutait pas qu'il était là lorsqu'ils découvraient les corps abandonnés à la vue de tous. Ce qui lui procurait des palpitations à l'idée de le savoir si près d'elle. Thémis l'imaginait perdu parmi la foule de curieux, exposant son pouvoir, sa classe et sa richesse à travers des habits de couturiers français. Tout en gardant une expression indifférente, alors qu'il devait jubiler.

Mais son visage était toujours brouillé par l'ignorance de son identité.

Pourquoi une valise ? Cela semblait presque trop barbare pour lui. Un imitateur ? Thémis en doutait. Les informations divulguées dans les journaux furent suffisamment précises pour faire naitre un imitateur, mais - appelez ça l'intuition féminine -, elle savait que ce corps était un message. Pour elle. L'inspectrice Thémis de Barowmerry. Guérisseuse de l'âme en fin de chrysalidation.

- Je vous préviens, ce n'est pas beau à voir, leur annonça Jack. Peut-être que la jeune dame ferait bien d'attendre ici.

Thémis n'écoutait plus. Elle s'approcha lentement de la malle. Marron, petite, masculine, de bonne manufacture, il était presque inconcevable qu'un corps entre là-dedans. A moins que... Non. NON ! Cette idée lui donnait la nausée, et pourtant, elle était indubitablement la seule option. Une main de part et d'autre de la valise, son pouce détacha avec soin les deux fermoirs situés de chaque côté de la hanse en cuir. Clac. Le couvercle supérieur se leva. Une odeur prenante de putréfaction lui irrita les narines. Un hoquet d'horreur s'échappa de sa gorge nouée lorsque son cerveau analysa l'image implantée dans ses prunelles.

- Inspectrice, qu'avez-vous vue ? Qui est...

Mais Kingdom n'eut pas le courage de terminer sa phrase. Sa bouche s'entrouvrit sous le choc. Thémis était accroupie devant un enfant démembré. Un filet de sang s'écoulait de la valise pour venir mouiller la robe de la jeune femme.

On aurait dit une poupée endormie.

Une belle poupée aux paupières et lèvres cousues d'un fil d'or.

Thémis caressa les cheveux noirs du petit garçon tandis que ses gants blancs se salissaient d'hémoglobine. Qu'avait-il bien pu voir pour être ainsi puni ?

Carpe Diem : Folies NocturnesDonde viven las historias. Descúbrelo ahora