Chapitre 10 - 2 : Le Masque d'Acier

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- D'une certaine manière ? répéta San Silvestre, un sourcil arqué.

- Les desseins de Monsieur King intéressent de nombreuses personnes, notamment des mécènes et des investisseurs prêts à soutenir nos idéaux révolutionnaires.

- Votre illustre famille serait-elle fauchée ? On dit pourtant que votre commerce va pour le mieux, et que vous envisagiez d'installer une filiale en Amérique.

- C'est en cours de réflexion, cette décision dépendra de l'impact du projet de Monsieur King sur la population londonienne. Le public ne sait pas qu'exploiter du charbon coûte cher. J'ai peut être trouvé un substitut en Pennsylvanie.

- ...L'or noir. Vous voulez utiliser le pétrole comme carburant pour la calèche volante de King. Terriblement ingénieux. Les bénéfices seront extraordinaires.

Lord Richard prit le temps de nettoyer ses lunettes, essayant de cacher tant bien que mal son air satisfait.

- En effet.

- A qui avez-vous vendu les plans ?

- Au Masque d'Acier.

- Au..Au Ma..Masque d'Acier ?! Avez-vous perdu la tête ?!

Thémis avait suivi l'interrogatoire en silence, mais la réponse inespérée de son paternel lui donna des frissons. L'enquête prenait une direction qui ne lui plaisait pas. Nonobstant, l'inspectrice priait pour ne pas entrer dans un jeu des plus morbides avec les créatures terrifiantes qui peuplaient l'obscurité.

- Calme-toi ma chérie, nos rapports ont été des plus professionnels. Il fera un profit de 35% sur chaque calèche vendue.

- ...35%...

- Un prix ridiculement bas sachant qu'il fournit la moitié des matériaux et connaissances nécessaires à sa fabrication.

- C'est un homme dangereux qui se cache derrière des manières affables. Il attaquera quand vous vous y attendrez le moins. Je vous en pris, renoncez à cette folie !

- Il est l'investisseur le plus important de cette ville Thémis.

- Et le plus instable...

- Ne dis pas de sottises !

- Allons père, le Tout-Londres sait que la disparition de ses associés n'est pas une coïncidence. Le Masque d'Acier est sans foi ni loi.

- Tant que nous aurons les mêmes objectifs tout ira bien.

- C'est un vampire ! LE vampire, leur Mikado ! Ces créatures ne sont pas dignes de confiance. Et comme un sot vous avez mis notre avenir entre leurs mains !

- Cet interrogatoire est terminé ! vociféra Lord Richard.

- Mais père nous...

- Silence ! – son poing s'abattit sur la table -. Je vous ai déjà tout dit, la mort de Martin King est due à un concours de circonstances. Quand à toi jeune fille, tu vas écouter ton frère et faire honneur aux Barowmerry. Il est temps que tu te comportes comme une femme. Dehors, je vous ai assez vu pour la journée !

Les joues brulantes de honte et les yeux brillants de larmes contenues, la comtesse ouvrit à la volée la porte du bureau. Un ouvrier se plaqua contre le mur du corridor, évitant de justesse de se faire percuter. Quand il fut sûr que la furie ne reviendrait plus, il passa sa tête par l'entrebâillement. Son employeur et un homme richement vêtu se toisaient du regard, un air menaçant sur le visage. La tension était palpable. Puis, sans un mot, l'étranger sortit, un léger sourire aux lèvres. L'ouvrier recula face à sa prestance. Jetant un coup d'œil timide vers son patron, il déglutit, se promettant de passer le mot sur l'humeur massacrante du directeur. Personne ne voulait s'attirer les foudres de Lord Richard. De ses doigts noircis et poisseux, il desserra les premiers boutons de sa chemise.

- D'solé de vous dérangez M'nsieur. Vot'e fils dit qu'il a trouvé.


~*~


Elle voulait sentir la pluie sur son visage, laisser ses sentiments couler hors d'elle. Le couloir paressait interminable, les poignées de porte brillaient sous la lumière artificielle comme un chemin lumineux menant à cette catharsis dont Thémis réclamait la délivrance. Elle s'arrêta un instant pour reprendre son souffle. Des murmures étouffés lui parvinrent. Curieuse, elle s'approcha de la source, collant son oreille au battant en cuivre. Des hommes parlaient bas. S'assurant que personne ne risquait de la voir dans une position embarrassante, elle s'abaissa. Par le trou de la serrure, elle entrevit deux gaillards à la salopette crasseuse.

- ... qu'les plans ont été vendus au Masque d'Acier.

- Par les roubignolles de Dieu !

- Ouais, tu l'a dis. Tu crois qu'ils savent qu'on l'a trahi ?

- Attend, c'le patron qui a vendu les plans sans l'accord de Martin, pas nous !

- Mais c'est à cause de nous qu'il est allé voir le Masque d'Acier. Tu t'rappelles comme il était furax quand il est venu parler au patron après ?

- Arrête Charles, c'pas notre fau..

- Depuis quand les dames écoutent-elles aux portes ? lui susurra une voix remplie de malice.

D'un mouvement brusque, Thémis redressa la tête avant de baisser les yeux, rompant le contact visuel avec lui. Elle ferma les paupières, prise au dépourvu. Elle inspira une, puis deux fois, priant avoir tord. Une odeur vanillée et sauvage lui parvint. Lentement, Thémis se releva avec le peu de dignité qui lui restait et affronta le regard du duc.

- Depuis quand un gentilhomme remarque-t-il la position inconvenante d'une lady ?

- Je n'ai pu résister à l'exhibition de votre postérieur, mea culpa, miss Barowmerry.

- Vous êtes un goujat, cracha-t-elle.

L'étincelle malicieuse de son regard fut sa seule réponse. Thémis continua son chemin, faisant fi de San Silvestre. Elle aspirait à un endroit paisible où elle pourrait lire et pleurer tout son saoul. Elle voulait s'enfermée chez elle avec pour seule compagnie sa bien-aimée solitude. Elle monta dans la calèche avec difficulté, son jupon gorgé d'eau. Tout cela à cause de sa stupide fierté, elle aurait dû accepter le parapluie de San Silvestre. Un soupir d'agacement lui échappa. Elle ne voulait plus le voir ni entendre ses provocations incessantes. Son répit ne fut que de courte durée.

- Entendez-vous cela ?

Thémis tendit l'oreille, essayant de discerner un bruit suspect à travers l'averse qui s'abattait sur la calèche. Rien. Mais son ouïe ne pouvait être comparée aux sens décuplés des métamorphes.

- Quoi donc ?

- Le silence, un vieil ami qui s'était enfui de ma vie à votre arrivée.

Cet homme était insupportable.


~*~


« Mon amour, tu étais là, si proche de moi. Le parfum sucré de la violette imprégnait ta peau soyeuse. Mon corps tremblait face à ce besoin irrésistible de te sentir contre moi. Que se passe-t-il ? Je sens en toi une détresse qui me déchire, une envie de meurtre m'envahit alors que ta douleur s'accentue à chaque seconde. Thémis... Les bougies se consument lentement, le rituel se poursuit et moi, je te regarde comprendre l'étendu de mon ivresse ».


Carpe Diem : Folies NocturnesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant