Chapitre 14- 2 : Les envies d'un tigre

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Desiderio ne savait plus quoi faire. Desiderio était confus. Desiderio avait mal, il sentait chaque cellule de son corps quémander ce contact féminin au goût de l'interdit. En refusant de voir l'innocente pécheresse, il pensait fermer plus aisément son esprit à sa présence. Il eut tort, cela empira. Ses sens s'affinèrent, comme pour contrer le voile opaque imposé par ses paupières. Son odeur agréable et pénétrante de violettes le fit voyager dans des contrées lointaines, où les montagnes bleues se confondaient avec le ciel et l'herbe verdoyante faisait office de plumard. Il pouvait presque entendre le bruit de l'eau filer entre les arbres et les cigales chanter. Ils mangeraient à côté de ce petit ruisseau, profitant de la fraîcheur apportée par l'ombre des arbres. Leur conversation serait enrichissante et conflictuelle car ils aimaient confronter leurs esprits. Une éternelle guerre des sexes... Puis, pour la faire taire, il s'emparerait de ses lèvres, s'abreuvant des sons complaisants qu'elles laisseraient échapper.

Un cahot le fit revenir à la réalité. Le duc se trouvait affalé contre la banquette en velours de sa calèche, roulant sur le chemin raboteux les menant – lui et l'inspectrice – à la vieille Luaya. Il ouvrit ses yeux, mais ne sut dire si la vision qui se présenta à lui le soulageait, ou au contraire, le plongeait dans la tourmente. Qu'est-ce qui lui prenait ? Depuis quand pensait-il à Miss Barowmerry autrement que par les adjectifs « insupportable Miss-je-sais-tout » ou « peste indisciplinée » ? Pourquoi son cœur battait-il à une allure folle, alors que Thémis plissait les lèvres en voyant le quartier malfamé dans lequel ils s'engageaient ? 

Le cuir de ses gants couina sous la pression qu'il exerçait sur le pommeau de sa canne. Tout avait commencé avec ce baiser, ce maudit élan qui le poussa à céder à ses pulsions. Son félin tournait en rond derrière les barreaux de sa cage spirituelle. Le tigre rugissait, luttait contre le self-control de Desiderio, aveuglé par ses envies coïtales. Son contrôle s'effritait sous ses assauts. Le besoin de la revendiquer se faisait irrépressible. Sa mâchoire était douloureuse, ses pieds fermement ancrés au sol de la calèche. Il voulait disparaitre, se fondre dans le siège sur lequel son dos était plaqué. Une veine pulsait à la base du cou féminin, il se pencha pour l'embrasser. De sa langue, il goûta la peau douce de la jeune femme, s'émerveillant de la sentir si sensible à son approche. 

Desiderio secoua la tête pour repousser ces images. Il sentit ses crocs s'allonger et l'adrénaline se répandre en lui. D'un mouvement brusque, il fit tourner la manivelle du lève-vitre afin d'aérer l'habitacle. Thémis le regarda inquisitrice. Il évita son regard, désireux d'oublier l'appel à la luxure qu'elle représentait. Comme avec l'opium, la dépendance était revenue, plus forte et tentatrice que jamais. Pourquoi, pourquoi son tigre se cramponnait-il à cette femme ? A cause du pantalon peut être ? Il était vrai que cette vision lui revenait souvent, son indécence le marquant au fer rouge. Il devait à tout prix se changer les idées, avant qu'il ne commette une autre erreur.

- Ne posez pas de question lorsque vous verrez la sorcière des augures. Le commun des mortels à tendance à se laisser dominer par la curiosité. Or, le destin est volatile.

Thémis le sonda du regard, mais la réponse lui échappait encore une fois. Elle reporta son attention vers l'extérieur. Des prostituées engoncées dans des robes à moitié déchirées, puants l'alcool et la résignation, souriaient de leurs dents jaunies aux marins et ouvriers rentrant chez eux.

- Je me demande si le moyen de transport inventé par Martin King nous serait plus utile que les calèches que nous affectionnons tant. Mon père tient particulièrement à ce projet, allant jusqu'à pactiser avec vous, surnaturels. Il a dû deviner l'impact révolutionnaire que cette calèche volante aura dans le futur, non ? Seul un fou risquerait de perdre tout ce qu'il a construit à la sueur de son front.

Carpe Diem : Folies NocturnesWo Geschichten leben. Entdecke jetzt