Chapitre 11-1 : Entretient avec un Mikado

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Le croassement du corbeau résonna dans la nuit froide, écho lugubre aux claquements de fouet du cocher. Le fiacre au blason tigré filait sur les pavés humides, d'un trot élastique et précipité. A l'intérieur, les voyageurs secoués et bringuebalés de droite à gauche par les cahots de la route, se contorsionnaient pour tenter de trouver une place confortable sur la banquette en velours malgré leur vitesse de déplacement. Sur les toits des maisons londoniennes, des silhouettes suivaient le fiacre de loin. Puis comme un signal entendu d'elles seules, elles décochèrent trois flèches. Cassant les fenêtres, deux se figèrent dans les cuisses des voyageurs tandis que la troisième ciblait le cocher. Quelques secondes plus tard, de doux ronflements se faisaient entendre. Les chevaux s'arrêtèrent de galoper, leur méca-système pourvu d'un mode de sureté. Ils étaient nerveux et piétinaient sur place, soulevant des gerbes d'eau sous leurs sabots. Une fumée blanche s'échappait par leurs naseaux. Les ombres s'approchèrent, satisfaites de cette mission exécutée avec rapidité. Calant les corps sur leurs épaules tels des poupées de chiffon, elles se fondirent dans la nuit. Elles pouvaient presque entendre le rire ravi de leur Maître.

Niché au cœur d'une cavité souterraine, le territoire du Mikado était connu pour ses spectacles underground qui frôlaient joyeusement l'indécence. Le charme bourru et sensuel qui se dégageait de ce lieu, pourtant réputé pernicieux, attirait tout un chacun. En hauteur et décoré de mousse verdoyante, le manoir d'une des plus puissantes créatures de Londres dominait les maisonnées en pierre. L'aspect lugubre de la bâtisse collait avec la réputation du Masque D'Acier, accentuant le côté 'insaisissable' du vampire. Sur les parois rugueuses, des ombres avançaient vers leur Maître. Il se trouvait dans sa salle de réception, en compagnie de ses fidèles serviteurs. Sur la table de buffet étaient ligotés des humains en des positions insolites. La créativité des orgies sanguinaires du Mikado n'était plus à prouver. Pourtant, cette fois-ci les ombres savaient que leur surprise serait LE sujet de divertissement. Et elles savouraient d'avance les avantages liés à leurs cadeaux. Le silence se fit à leur apparition tandis qu'elles avançaient avec rapidité, redoutant Son impatience. Elles déposèrent leurs fardeaux au sol puis s'inclinèrent dans une révérencieuse politesse.

- Un présent pour notre Seigneurie, en espérant qu'il illumine votre journée.

Curieux, celui-ci renversa sur le dos une femme à la coiffure défaite. Ses traits bridés lui rappelèrent vaguement quelqu'un néanmoins il ne réussit pas à mettre un nom sur ce visage inconnu. Cela l'agaça, lui qui se targuait de connaitre le Tout-Londres sur le bout des doigts... Sans plus s'attarder, il retourna l'homme qui l'accompagnait. De sa main gantée, il souleva sa paupière afinde s'assurer de son identité. C'était bien lui. Un rire enchanté étira sa bouche laissant apparaître deux canines ensanglantées. Quelle chance il avait !

- Laissez-leur de la place, elles l'ont bien mérité ! Et apportez d'autres mets ! Ce n'est pas tout les jours que nous recevons des invités de cette prestance.

Des gloussements diaboliques lui firent écho.

~*~

La brume du sommeil disparaissait peu à peu au profit d'une douleur diffuse. Desiderio grogna alors que sa tête pulsait cruellement, indifférente à la situation cocasse dans laquelle il se trouvait. Les mains attachées par des chaines, allongé sur un sol dur et froid, il sentait le souffle sucrée de l'inspectrice Barowmerry sur sa joue. Comment avait-il pu se laisse attraper aussi facilement ? Où se trouvaient-ils ? Il serra les dents alors que les odeurs caractéristiques de l'hémoglobine et de la terre le percutaient de plein fouet. Avec difficulté, ses yeux s'entrouvrirent, alourdis par cette sieste imposée. Graduellement, sa vue se fit plus nette et il le vit.

- Diantre...si j'avais su que le soleil ne t'avait pas carbonisé, je ne serais jamais revenu en Angleterre, lança-t-il d'une voix pâteuse.

- Allons Primum, nous savons tout les deux que nos destins sont liés.

Un éclat de colère illumina ses pupilles mordorées. Tant bien que mal, il réussit à s'asseoir. Ce qu'il vit lui donna des hauts le cœur. Des corps recouverts de traces de morsure, étaient entassés autour et sur la longue table en granit qui occupait la moitié de la salle. Une expression de souffrance peinte sur leurs visages blancs. La mort planait sur eux, laissant sur son passage une froideur surnaturelle. Barbarie, il n'y avait pas d'autres mots pour qualifier ce spectacle. Bien sûr qu'il chassait pour manger, pour rien au monde il ne se serait privé du parfum automnal des pommes de pin ! Plonger ses griffes dans la terre moelleuse de la forêt, sentir le vent caresser son pelage blanc, rugir de joie alors que ses crocs plongeaient dans la chair encore chaude d'une biche. Mais cela était différent. Oui, très différent essaya-t-il de se convaincre. Un bruissement de tissu mouillé le tira de ses pensées.

- Elle daigne enfin se réveiller, il n'est pas top tôt. Comment me trouves-tu ? Je suis toujours nerveux lorsqu'on me présente un nouveau visage. Surtout si celui-ci est une aussi belle femme. – Il lui fit un clin d'œil joueur -. Mais qui sait, peut être tombera-t-elle sous le charme d'un descendant des dieux ?

Contre toute attente, un sourire moqueur naquit sur les lèvres du duc.

- Je vous souhaite bonne chance comme disent les français.

~*~

Bien des mythes ont nourri l'image publique du vampire. Entre cadavre revenu à la vie ou démon volant nocturne, le folklore le représentait comme un être pâle aux canines plus pointues que la normale. Il se protégerait du soleil en retournant dormir dans sa crypte. Quasi-indétectable pour l'œil de simples mortels, il se faufilait sans peine dans les recoins les plus improbables de Londres. Mais les murmures du vent apportaient des informations plus terrifiantes qu'un simple problème de régime alimentaire. On disait qu'une seule goutte de sang lui permettait d'adopter le physique de sa victime jusqu'à ce que le fluide vital qui coulait dans ses veines ait disparu, et que la soif de sang réclame un autre repas. Des caméléons, voilà ce que cette race était.

Thémis émit un grognement peu féminin avant d'ouvrir les yeux. Pendant quelques secondes, elle parut pétrifiée face à la situation qui se présentait à elle. Elle prit une profonde inspiration avant de s'asseoir et s'appliqua à lisser les plis de sa robe en taffetas. Son air détendu contrastait avec l'avidité qui se lisait sur les faciès vampiriques. Puis avec une effronterie nuancée d'arrogance, elle releva le regard, plantant ses iris d'obsidiennes dans ceux du Mikado.

- Le masque... c'est pour cacher votre vilain moineau de carême ou une lubie qui, soi-disant, devrait accentuer votre aura maléfique ? 

Carpe Diem : Folies NocturnesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant