Chapitre IV. Le bassin aux Damnées.

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Il était une pièce dans le château où le sol était séparé en deux parties : l'une était un sol fait d'une roche sablonneuse noire comme du charbon et l'autre était un bout du marécage par où une âme damnée pourrait rejaillir de son éternelle noyade. Alaster, seigneur d'Atralean en profitait souvent pour venir torturer une bonne âme de temps à autre. Les hurlements de la pauvre victime se répercutaient contre les murs, bruit pourtant habituel dans ce sinistre palais.

Brusquement les immenses portes s'ouvrirent et claquèrent contre les murs porteurs laisse une Dame du Marécage furieuse pénétrer dans la salle. Il ne la voyait pas, lui tournant le dos, pourtant il la sentait, elle et son léger parfum de brume et de mousse.

<<Alaster !

Le seigneur d'Atralean ne se retourna même pas, continuant son activité et répondit sur le même ton :

- Ignea.

- Cette garce de Loena va revenir !

- À vrai dire, elle est déjà là.

Avant qu'elle ne puisse répondre, il précisa :

- Je devais une faveur à son frère. Il a souhaité qu'elle revienne et j'ai du accepter.

La Dame se figea. Oh cette histoire de faveur commençait à lui mettre les nerfs en boule et contenir son agacement ne semblait pas vouloir faire partie de ses préoccupations actuelles. Elle grogna, méprisante face au calme de son compagnon :

- Au diable les faveurs ! Et au diable Orion ! Il me hait. Il voudrait que tu changes de Dame, que tu en prennes une plus jolie. Il voudrait que tu prennes Loena !

Toute la haine qu'elle ressentait ressortait en ce moment et des volutes de brouillard noires se levaient dans la salle. Seulement la haine ? La jalousie y était pour beaucoup aussi. Car malgré l'indéfinissable sentiment qui la liait à son amant, l'incertitude faisait partie du quotidien d'Ignea et elle en était plus fatiguée que ce qu'elle ne montrait. Et cela Alaster le savait bien. Seulement rien ne changerait. Atralean l'avait décidé ainsi et il en faisait de même.
L'immonde monstre lâcha un feulement à l'encontre de sa Dame :

- Tu sais très bien que je ne le ferai pas.

- Tu l'as déjà bannie une fois. Tu devrais la tuer.

- Je n'en ai pas le droit.

Ignea sembla ne pas être de son avis puisqu'elle hurla, un dégoût certain s'installant sur ses traits :

- Tu as tous les droits. Tu es le seigneur ici.

Il ne répondit rien, ne laissant transparaître que l'indifférence, une indifférence qui commençait à la rendre folle. Elle reprit avec détermination :

- Si tu ne fais rien, c'est moi qui la tuerai.

Alors qu'elle finissait sa phrase l'eau du marais sembla être prise d'agitation. Alaster délaissa sa victime qui retomba dans les marais verts et bruns et tourna sa tête velue vers la jeune femme, ses yeux plissés sous le coup de la surprise. Voilà longtemps qu'elle n'avait pas laisser sa haine s'exprimer ainsi et qu'elle ne s'était montrée aussi vindicative. La Dame du Marécage, d'ordinaire si taciturne, si discrète et si soumise, se laissait brusquement aller à un accès de colère. Il fallait qu'il la calme avant qu'elle ne se libère totalement. Sinon qui savait ce dont elle serait capable ? Et ce dont lui serait capable afin de reprendre le dessus ? Il était déjà arrivé une fois que les choses dégénèrent. Et ce n'étaient certes, pas le moins du monde un souvenir à évoquer. Pas si l'on voulait éviter que la discorde règne de nouveau dans le palais d'Atralean. Alors il reprit plus fort :

- Je ne la tuerai pas.

Il avança vers sa compagne et les énergies négatives qui s'échappaient de l'aura de la jeune femme se dissipèrent tandis qu'elle baissait la tête face à la force dominante de son amant. Une des griffes du seigneur vint se loger sur la peau tendre du cou d'Ignea. Il appuya légèrement sans la blesser pour la forcer à le regarder dans les yeux et souffla :

- Et je te donne l'ordre de ne pas le faire.

Voyant qu'elle ne réagissait pas, il gronda en appuyant encore plus, toujours en veillant à ne pas écorcher la gorge de sa Dame.

- Fais en le serment Ignea.

Elle le défia du regard encore quelques secondes, semblant chercher quelque chose avant de céder :

- Je promets de ne pas l'attaquer.

Pourtant elle ne se détendit pas et resta stoïque. Le seigneur d'Atralean laissa échapper un drôle de grognement et ses doigts s'enroulèrent autour de la gorge de son amante afin de l'attirer à lui. Il murmura à son oreille :

- Cesse d'être fâchée. Cela m'irrite encore plus et tu sais qu'il ne faut pas me contrarier.

Elle se décida enfin à sourire et il lui adressa un rictus qui dévoila ses énormes crocs. Ses doigts se mirent à caresser machinalement la peau glacée.

- Laisse les parler sur ta beauté passée. Laisse les dire. Ils ne savent pas.

- Que tu ne me gardes pas que pour tes plaisirs sadiques ?

Il secoua la tête, amusé.

- Que ta puissance est supérieur à la leur...

- Comment pourraient-ils le savoir quand tu la brides et m'empêches de l'exercer ?

Ignorant ses paroles, il plongea son museau dans le cou de la Dame tandis que ses griffes glissèrent sur la longue robe noire, laissant des sillons dans le tissu. Quelque chose sembla s'enflammer entre eux et Ignea savait ce qu'il allait se passer. C'était inévitable. Et ce n'était pas elle qui s'en plaindrait. Mollement, sans vraiment y montrer le moindre intérêt, elle souffla à son amant :

- Tu comptes réellement infliger cette vision à toutes ces pauvres âmes ressurgissantes ?

Le seigneur d'Atralean grogna contre la peau de sa créature prise entre ses griffes alors qu'une étrange lumière emplissait la pièce :

- Ils ont déjà vu et verront pire de toutes manières.>>

Atralean - La Dame Du MarécageWhere stories live. Discover now