Chapitre XI. Deux chiens

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Orion, dernier membre de la lignée des marais brûlants, sentait la rage bouillonner en lui. Il avait soif de sang et de cendre. Il voulait faire payer le meurtre de son cousin et celui de sa soeur. Il ne pouvait supporter que la Dame puisse s'en sortir en toute impunité. Le jeune homme arpentait les couloirs du palais dans l'espoir fou de la trouver et de la confronter. Pour la tuer. Pour enfin en finir avec elle.

Ses pas furieux et son errance aveuglée dans le palais le menèrent à une porte en bois brûlé. En faisant plus attention, il aurait pu dicerner les étranges gravures qui s'y trouvaient. Cependant, le regard d'Orion se portait uniquement sur les deux gros chiens qui la gardaient. Leurs fourrures hérissées, leurs crocs taillés et tranchants, la bave dégoulinant de leurs babines et le jaune de leurs yeux fous les rendaient effrayants. Il ne les avait jamais vu. Ces créatures semblaient sortir tout droit des bouches de l'enfer. Deux vrais Cerbère. Et peu importait ce qu'il se trouvait derrière cette porte gravée, les deux bêtes suffisaient à dissuader le jeune homme d'y jeter un coup d'oeil. Car en apercevant celui qu'on nomme le fils du feu, les chiens se mirent à aboyer méchamment et Orion se figea d'horreur en entendant ce mélange de hurlement et de rugissement. Il s'éloigna des chiens non sans leur avoir lancé un regard intrigué et méfiant.

Lorsqu'il pénétra dans la salle du trône, des flammes courraient sur sa peau. Il ne se maîtrisait que très peu... Seul Alaster s'y trouvait et nulle trace d'Ignea. Il se planta face au seigneur d'Atralean qui le fixait impassible, assis sur son imposant trône. Aveuglé par la haine, la prestance terrifiante de la bête ne l'atteinte même plus. D'une voix forte, Orion accusa :

<< Ta Dame a tué ma soeur, Alaster.

- Loena a attaqué Ignea et tenté de la noyer. Si ma dame a riposté, ce n'était que de la défense.

- Pourtant, tu avais permis son retour et tu avais assuré que tu ne la tuerai pas.

Un rictus étira les traits bestiaux d'Alaster. Il allait s'amuser un peu, lui qui était d'une humeur massacrante. Sournoisement, il répondit :

- Et je ne l'ai pas tué. C'était à prévoir Orion. Dans vos machinations pour accéder aux pouvoirs vous auriez dû penser au fait qu'elle ne se serait pas laissé faire. Voilà deux membres de votre famille qui se sont frottés à elle. Et les deux sont morts. Le premier a périt transpercer de toutes parts par ses sabres. La deuxième a finit noyée au fond du marais. C'était le jeu. Vous avez joué. Et vous avez perdu. La partie est finie.

- Penses-tu vraiment que la partie est finie ? Tant que je suis en vie, elle est loin, très loin de l'être.

- Je doute sincèrement que tu survives si tu te frottes à la Dame du Marécage. Tente le coup si tu tiens tant que ça à ta vengence. Mais tu t'y brûleras les ailes.

Orion devait garder son calme. Ne pas exploser. Ou son sort ne sera pas plus enviable à celui des autres membres de sa famille. Il devait se montrer plus malin, plus stratège.
Ses yeux se posèrent sur le regard cruel de la bête et instinctivement les flammes se retirèrent de ses mains.
Avec dédains, il demanda :

- Pourquoi restes-tu donc avec elle ? Pourquoi t'entêtes-tu à la garder, à la vouloir ? Tu n'as jamais montré un tel intérêt pour les précédentes et pourtant, nombre d'entre elles étaient plus belles. Je ne te comprends réellement pas.

Le seigneur des marais ricana. Bien sûr qu'il ne comprenait pas. Personne ne le pouvait. Même Ignea ne savait pas de quoi il en retournait. Ou du moins, elle ne savait pas tout, n'en connaissant qu'une infime petite partie. Mais tout cela dépassait de loin le fils du feu et les autres créatures du marais. C'était une chose puissante, un mystère millénaire. Une malédiction.
Alors Alaster secoua la tête et lâcha, désinvolte :

- C'est la seule qui ne reste pas pour le pouvoir. Ni pour quelques autres avantages que ce soit. Non, elle est là simplement depuis maintenant huit cent ans. Elle est d'une...

Il dévoila les crocs, menaçant, semblant chercher ses mots. Puis il reprit :

- ...D'une fidélité éternelle.

- Cela veut dire que tu ne l'aimes pas.

La bête tourna la tête vers son interlocuteur et ses pupilles devinrent deux fentes sombres. Sa voix caverneuse résonna dans la salle et se répercuta entre les colonnes :

- Non cela veut dire, que contrairement à elle, le moindre faux pas vous sera fatal.

La queue de lion d'Alaster s'agitait dans l'air et il détourna le regard du courtisan. Il ne cautionnait pas du tout que le jeune homme remette en cause ses décisions, son choix.

- Fais attention Orion. Je pourrais tout aussi bien te tuer. Tu n'es pas indispensable. Sais-tu combien sont ceux qui rêveraient d'être à ta place, de t'évincer. Il ne suffirait que d'un simple mot de ma part, d'un simple geste... et avec toi, disparaîtrait la lignée des marais brûlants.>>

***

Alouan se faufilait jusqu'au coeur du palais. La Dame dans les vappes, rien ni personne ne le protégeait plus des créatures vicieuses qui peuplaient cette impitoyable cour. Il doutait de s'en sortir s'il venait à tomber sur le seigneur d'Atralean. Et se faire dévorer ne figurait pas dans ses projets. Mais il voulait voir son amie. La Dame était indispensable à l'enfant pour une raison qui lui était totalement inconnue. Et jusque là, il n'avait pas chercher à comprendre.

Sain et sauf, il parvint jusqu'à la porte gardé par les deux chiens. Au contraire de ce qu'il s'était passé avec Orion, les deux immenses bêtes reniflerent le petit garçon et se mirent à japper joyeusement. Elles se rassirent, lui laissant la voie libre. Alouan poussa difficilement la porte de ses petits bras et entra dans la vaste chambre meublée royalement.

Assise sur l'immense lit à baldaquin noir, Ignea leva ses yeux sombres sur lui. Ses cheveux flottaient autour de son visage maigre et émacié et ses épaules gardaient de terribles traces de son combats. Le sang noir tâchait encore ses bras blancs et squelettiques. Cependant, ce qui frappa l'enfant était l'oiseau au plumage de jeai que tenait la Dame entre ses doigts, au creux de ses paumes.
Un corbeau spectral.

Encore un signe qu'envoyait Atralean.

Atralean - La Dame Du MarécageWhere stories live. Discover now