Chapitre XVI. Réminiscences clés

714 105 5
                                    

Ignea se rappelait le jour où elle avait été arrêtée comme si il s'était déroulé la veille. Un cauchemar. Mais rien de terrible comparé à ce qu'elle avait pu vivre à Atralean.

Les hommes avaient débarqué un matin alors qu'elle jouait avec Thomas et l'avaient entraînée derrière eux, poings liés. Ils l'avaient torturée une journée durant. Elle n'avait rien dit, seulement hurler de douleur face à l'étau. Mais dans esprit tout était mieux que d'avouer et finir sur le bûcher. Ce qu'elle avait oublier c'était que les femmes qui n'avouaient pas étaient aussi condamnées, considérées comme des sorcières pour "résistance". Après avoir subit la torture elle n'était plus que douleur. On la traîna place publique et on l'attacha au bûcher. Ce n'est qu'au moment où les flammes montèrent qu'elle craqua. Elle avait toujours eut horreur du feu. Elle savait que si les hommes venaient à découvrir sa magie, il serait la fin de son destin, l'arme de sa mort. Le feu projetait des ombres terrifiantes sur son visage si beau. Un puissant vent s'était alors mis à souffler écartant les flammes d'elle, le projetant sur la foule. Ignea n'était alors que terreur et ses pouvoirs s'étaient déchaîné contre le village qui bordait le marais. Elle se souvenait du regard du petit garçon qu'elle avait aimé comme le sien, terrifié et marqué par la tristesse, caché derrière les jambes de son père qui jetait un tel regard à son épouse qu'on aurait presque pu croire qu'il en souffrait. Mais ce n'était qu'un pauvre fou qui, peut être, avait aimé la douce jeune femme mais que sa violence avait perdu. Elle avait alors brisé ses liens en écartant violemment les bras et avait fuit par le marais. Mais les hommes s'étaient lancés à sa poursuite, accompagnés de leurs terribles chiens aux crocs puissants. Elle avait alors invoqué les Miül dans l'espoir de s'en débarrasser et avait poursuivit sa course. Elle pensait en avoir réchappé, après tout ses pouvoirs lui permettaient de se défendre. Mais lorsqu'Alaster s'était dressé sur sa route, elle avait su la fuite finie. Et il l'avait plongée dans le marais. Pour toujours.

En réalité, la Dame s'était toujours demandée pourquoi était-il là ce jour là. D'ordinaire, Alaster ne sortait jamais s'occuper des vivants. C'était le travail des sirènes du marais ou de ses sous-fifres. Parfois celui de la Dame. Mais pas celui du seigneur d'Atralean qui faisait régner la terreur parmi les siens. Alors qu'il ait été là ce jour là, relève du plus fou des hasards. Tout comme le fait qu'il se soit trouvé exactement au bon endroit...

Et Ignea comprit.

Le hasard n'existait pas.

*


<< Alaster !

La porte claqua derrière la Dame du Marécage avec tant de force que les murs tremblèrent. Alaster était au fond de la salle, une biche morte, son repas, à ses pieds.
En apercevant sa dame brulante de colère, un grognement lui échappa et la bête se précipita à une vitesse effarante sur la jeune femme. Il se mit à tourner autour d'elle, prédateur, montrant les crocs et esquissant un rictus amusé. Il lisait sur l'expression de la femme aux allures si terribles qu'un de ses secrets venaient de s'envoler. Encore un...

- Ignea, ma tendre, douce et chère Dame, si tu me disais ce que tu penses avoir découvert...

- Pourquoi étais-tu là le jour de mon arrivée à Atralean, toi qui ne sort jamais ?

- Es tu sûre de poser la bonne question ?

La bête sourit cruellement continuant de tourner autour de sa Dame. Elle se redressa alors et fronça des sourcils, sa voix rauque siffla :

- Qu'as-tu à voir avec mon arrestation pour sorcellerie ?

- Tout. J'ai tout à voir.

- Pardon ?

- Il fallait bien t'attirer au marais toi qui ne daignais pas vouloir me rejoindre, je devais te pousser...

- C'est complètement tordu. Tu es tordu !

- En es tu sûre ?

Les mots de son amant frappaient Ignea qui serra les poings si fort que ses griffes factices entrèrent dans sa paume et une goutte de sang noire perla.

- La torture, le bûcher, les chiens lancés à ma poursuite... Tu ne trouves pas ça tordu ?

- Deux de ces chiens ont été emporté par les Miül et sont devenus tes petits toutou de compagnie. Au même titre que cet... Alouan.

- Ça n'est pas le sujet ! Tu m'as arrachée à ma vie, tu l'as réduite en cendre, en poussière pour tes désirs ?

- Ta vie ? Quelle vie ? Une vie de recluse ? Un mari qui te frappait, te forçait ? Un enfant qui n'était même pas le tient et que tu t'es résolue à aimer pour ne pas dépérir ?

Alaster ne s'énervait pas, son ton était toujours aussi venimeux que neutre, et son expression moqueuse lui donnait l'air d'un chat jouant avec une souris. La dame ne se démonta pas et répliqua :

- Et si cette vie avait été différente, cela aurait change quelque chose à ton acte ?

- Que préférais tu entre une vie de mortelle dans les ténèbres ou une vie éternelle?

- Éternelle ? Avec la malédiction de l'éveil du marécage qui prévoyait déjà ma mort ?

- Préférais vraiment tu cette autre vie à celle ci ? Cet autre homme à moi ?

La dame du se rendre à l'évidence. Elle ne répondit pas et se contenta de hausser des épaules. Le seigneur reprit :

- Tu n'es peut être plus la belle d'autrefois, mais tu es toujours la même. Une dame puissante aux pouvoirs inespérés. Et cette autre vie ne te permettait pas d'être qui tu étais.

- Me permets-tu d'être qui je suis ? Toi, le grand monstre millénaire, me laisses-tu être qui je suis ?

Elle s'approcha d'Alaster, les poings sur les hanches. Il se figea également face à elle et tendit sa patte vers son visage, carressant d'une de ses griffes une mèche de cheveux fuyante de son amante. Celle ci recula pour échapper à la caresse. Posant ses doigts sur ses tempes elle recommença à s'énerver.

- Comment as-tu fais pour savoir que la moindre action me mènerait à toi ?

- Ravenna. La sorcière aux corbeaux a plus d'un tour dans son sac. En plus de communiquer avec les corbeaux spectraux, elle avait la fabuleuse capacité de déterminer l'avenir.

Ignea écarquilla des yeux. Son sang vrillaient dans ses tempes, sa vue se brouillait sous le coup de la colère et alors qu'elle s'exclama, sa voix déjà rocailleuse se brisa :

- Tu plaisantes j'espère ?

- J'en suis très loin ma belle.

Puis il reprit d'un ton inquisiteur :

- Mais pourquoi tant de fureur Ignea ? Durant huit cent ans, tu te doutais bien que je n'avais jamais eut le beau rôle dans cette histoire. Un geste de plus ou de moins, une parole en plus ou en moins, qu'est ce que ça te change ? Qu'est ce que ça change à ce qui est aujourd'hui ?

La Dame se figea et il en profita pour asséner le coup de grâce :

- On ne réécrit pas le passé avec des éclats de colère et de vengeance. Tu es ici, avec moi, et rien n'y changera jamais. >>

Ignea se mit à faire les cents pas, arpentant la pièce comme une lionne en cage qui chercherait à s'échapper pour détruire tout ce qui l'entourait. Tous ces mouvements agaçaient Alaster et n'y tenant plus, il lui attrapa soudain les épaules et la força à s'arrêter. Elle tenta de se dégager et de le frapper mais il attrapa ses poignets avant de ramener ses bras dans le dos de la jeune femme afin de la coincer. Ses bras tordus en arrière la forcaient à se cambrer légèrement, ce qui rapprocha sa frêle ossature du corps imposant du seigneur d'Atralean. Soudain elle se figea. Il la fixait avec des yeux dénués d'émotions cependant, c'était comme si l'incompréhension dans laquelle elle baignait quelques instants plus tôt avait totalement disparut, s'était envolée. C'est ce qui la perturba plus que tout, cette étrange sérénité qui n'était en réalité qu'un mensonge de plus. Alors elle se dégagea de l'emprise de son amant et fit volte face, quittant la la pièce.

Atralean - La Dame Du MarécageWhere stories live. Discover now