Chapitre V. L'enfant des marais perdus

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Ignea s'était hissée au sommet d'une tourelle, de manière à avoir le meilleur point de vue pour observer la cour d'Atralean, cette immense fourmilière qui grouillait autour du palais au style gothique. Les créatures qui la composaient vaquaient à leurs activités habituelles, et de là haut, leurs mouvements ressemblaient à une danse fantôme. La dame venait de quitter Alaster et il était nécessaire pour elle de prendre une pause. Entre intrigue, amour empoisonné et ancienne rivale, l'étrange paix qui régnait venait de voler en éclat. Ignea le sentait : elle n'était pas prête de retrouver le calme. Ses jambes pendaient dans le vide et son regard se perdait sur le brouillard qui les entouraient, tel un dôme.

En réalité cet éternel brouillard n'était rien d'autre qu'un portail. Un portail qui séparait le monde des humains d'Atralean. La barrière entre ces deux univers parallèles étant cependant fine, il était facile d'aller et venir entre eux. Mais rares étaient les habitants d'Atralean qui désiraient retourner chez les Hommes et les humains qui se perdaient dans les marais n'en revenaient jamais. C'était ainsi depuis les commencement même des choses et ce sera ainsi jusqu'à la fin des temps, lorsque tout ne serait plus que chaos et mort.

Atralean était séparé en cinq parties : tout d'abord, le marais central où se dressait fièrement le palais d'Alaster ainsi qu'un petit village aux abords de la cour. Ensuite on trouvait les zones plus populaires telles que le marais Est, véritable nid de créatures en tout genre, et les marais Brûlants, zone sous la supervision de la lignée du feu, famille d'Orion et Loena. Puis enfin, il y avait les marais norrois, la zone la plus proche du monde des humains encore quelque peu peuplée et les marais perdus, région désolée et mystérieuse.
Cette dernière zone atteignait la péninsule du palais par une simple langue de terre recouverte de quelques herbes maléfiques. C'est de cet endroit que venait le petit garçon à l'apparence enfantine qui se hissa à côté d'elle. Il avait l'air d'un ange avec ses courts cheveux blonds comme le blé et ses traits adorables. Seulement, ses yeux étaient blanc. Tout blanc. Aussi blanc qu'un os poli par le vent. Il s'assit lui aussi sur le rebord. Ignea laissa échapper un sourire attendrit mais c'est d'un ton égale qu'elle s'enquit :

<< Bonjour Alouan. Tu as quitté ta cachette pour venir me rendre visite ou tu as autre chose à faire ?

Le dénommé Alouan posa ses étranges yeux sur la jeune femme et dans un instinct enfantin, tenta de lui prendre la main. Bien que la tendresse n'était pas son fort, elle ne repoussa pas l'étreinte de l'enfant.
Non Ignea n'était pas mère. Et elle ne le serais jamais. Seulement elle avait pris sous son aile le petit. Aussi curieux qu'à son habitude, il lui demanda :

- Tu veux bien me raconter une histoire ?

Elle fronça des sourcils et inconsciemment, elle fit crisser les griffes d'argent qui continuait ses bagues contre la roche.

- Qu'est ce que je pourrais bien te raconter ? Tu as passé l'âge des histoire.

- Très bien alors raconte moi ce qui s'est passé dernièrement dans ce palais. De ce que j'ai entendue, cette dernière lune a été mouvementé...

L'enfant continuait de la fixer de ses yeux blancs et Ignea plongea les siens entièrement noir dans le regard du garçon. Elle l'observa quelques secondes avant de détourner la tête et de ricaner, d'un ton chargé d'ironie :

- Ce ne sont pas des choses à raconter aux enfants.

- Je suis âgé de centaines d'années, je ne suis plus un enfant.

- Vraiment ?

Alouan esquissa une petite moue et lâcha la main de la Dame qui poussa un petit soupire de soulagement. Il était clair que toutes ces démonstrations d'affection n'était pas pour elle.
Pourtant, elle ne su pourquoi, mais elle craqua et lui raconta les événements de la semaine : l'arrivée d'Orion, sa mission au marais de l'Est, le retour de Loena, sa dispute avec Alaster et la manière dont tout cela s'était terminé. Le petit garçon troubla le silence qui s'était installé après le récit d'Ignea en faisant une petite remarque :

- Je ne comprends plus trop en fait.

La dame jeta un étrange regard à Alouan, l'incitant à continuer. Il sourit alors, ses jambes se balaçant dans le vide :

- Est-ce de l'amour ou de la haine ? Parce qu'à certains moments l'on dirait que tu n'as qu'une envie, lui sauter à la gorge pour mettre fin à ses jours et l'instant d'après tu cèdes à ses baisers et à bien plus encore.

- Tu en poses des questions gamin. En quoi cela t'intéresse t-il ?

- Je suis mi-damnés mi-transformé. Je ne me noie pas mais je ne fais pas non plus partie à part entière de ce monde. Je m'ennuie. Et tu as une vie si palpitante, si pleine de rebondissements... Égaye donc les tristes jours d'un condamné pour l'éternité !

Ignea plissa des yeux et leva la tête vers le ciel, laissant le vent glacé caresser sa peau. Les mots du garçon résonnaient en elle et la jeune femme laissa son ouïe s'envoler jusqu'à percevoir les battements du cœur frêle de son petit compagnon. Ils restèrent dans le silence un instant. Jusqu'à ce qu'elle le rompt.

- Rappelle moi comment cela se fait-il que tu te sois retrouvé à Atralean ?

- C'est de ta faute.

Réellement ? Ignea ne s'en rappelait pas. Certes, elle en avait attiré, des pauvres âmes, par le biais des Miül, mais aussi d'elle même. Elle avait commis des atrocités. En temps que Dame du Marécage, la violence faisait partie de sa vie. Les âmes damnées torturées par Alaster, les missions sanglantes qu'elle effectuait de temps à autre, les rixes qui éclataient régulièrement entre deux rivaux puissants...
Oui, le sang, la haine et les violences faisaient partis de son quotidien dans cet univers mystique. Et la Dame n'en avait pas horreur, loin de là. Cependant le souvenir du petit garçon ne remontait pas à sa mémoire.
Elle haussa des épaules. Qu'importait cette histoire. Alors elle changea de sujet.

- Que se passe-t-il dans les marais perdus ?

- Des combats entre les rejetés, comme toujours.

Les rejetés... Ignea frémit. Ceux qui ne trouvaient pas leur place à la cour ou qui était comme Alouan, ni une simple âme ni une créature du marais à part entière, se réfugiaient dans les marais perdus. Après tout personne ne s'y rendait. C'était sans conteste, la région la plus dangereuse d'Atralean.

- Et tu survis ?

- Comme toujours puisque je suis là.

- Et penses-tu que tu survivrais à la cour d'Atralean ?

Le petit garçon réfléchit et secoua négativement la tête.

- Pas sous ce règne. Toi même tu peines à te maintenir en place.

- Moi ? Mais enfin, comment voudrais tu que je me maintienne en place ?

Elle rit, moqueuse, cependant Alouan continua :

- Après tout, toi aussi tu aurais pu être rejetée. Tu n'es pas comme eux non plus.

La dame du Marécage se raidit et siffla :

- Fais attention à ce que tu dis petit. Tu pourrais perdre ta protectrice.

- Parce que je t'aurai vexée ? >>

Elle fit signe de la tête que non et alors que le petit garçon se levait pour retourner d'où il venait, elle souffla une phrase à son attention. Alouan la regarda un instant décontenancé avant d'hocher la tête et de s'en aller sous le regard de la Dame, de son amie.

Tandis qu'il posait pieds de l'autre côte de la frontière qui délimitait la péninsule du palais aux marais perdus, il se tourna vers l'immense et imposante demeure, levant la tête vers le ciel, et aperçu la silhouette d'Ignea, du haut de la tourelle qui observait le brouillard, l'air perdue dans ses pensés. Les mots de la Dame du Marécage tournaient dans son esprit de petit garçon.

Parce qu'on m'aura tuée ! avait-elle dit.

Atralean - La Dame Du MarécageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant