Chapitre XXI. Aucune faiblesse

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La Dame d'Atralean était d'humeur excessivement joyeuse, ce qui était une chose assez rare. Et toute cette joie se traduisait pas cette expression assurée et presque euphorique qui égayait légèrement ses traits disgracieux, atténuant leur laideur effrayante. Bien, il n'était pas non plus rare que la joie d'Ignea se traduise aussi par des meurtres en série.
Cependant, cet étonnant moment d'allégresse chez la terrible femme étonna grandement Alouan.
Il la regardait donner une série de directives à quelques serviteurs effrayés par la puissance qui émanait de l'aura d'Ignea. Elle ne l'avait pas encore remarqué ou bien si ça avait été le cas, elle n'en laissait rien paraître.

Elle finit par se retourner et aperçu l'enfant. Fronçant des sourcils, elle s'exclama d'un ton qui aurait pu blesser le petit garçon si il n'avait pas été habitué :

<< Tiens, tu es là toi ?

Il hocha la tête et les deux compagnons restèrent quelques instants à se regarder, yeux dans les yeux. Puis de sa petite voix timide, il demanda :

- Tu peux me raconter une histoire ?

Elle sourit mais son sourire était à faire peur. Secouant la tête de droite à gauche, elle murmura :

- Tu les connais déjà toutes.

- Tu peux m'en raconter une nouvelle, en inventer ?

Sa voix tremblait légèrement et la dame plissa des yeux, intriguée. Elle s'approcha d'Alouan qui leva la tête pour pouvoir soutenir son regard.

- Je pourrai. Mais je n'ai pas beaucoup d'imagination en ce qui concerne les histoires.

- Alors raconte moi autre chose ! N'importe quoi. la suppliait-il presque.

- Qu'est ce qu'il t'arrive Al ? Pourquoi agis-tu en gamin ?

Il cligna des yeux alors que le ton d'Ignea s'était fait plus cassant. Serrant ses petits poings, il finit par murmurer à voix basse :

- Je suis désolé Ignea.

- Pour ?

- L'illusion.

Elle hocha la tête avec raideur, presque consternée à l'idée qu'il puisse toujours en savoir autant, avant de lâcher, un indescriptible sentiment s'emparant d'elle :

- Alors tu comprendras.

- Comprendre quoi ?

Il savait déjà ce qu'elle dirait. Mais il voulait l'entendre. Ce qu'elle ne se priva pas de faire, sans états d'âme apparents :

- Tu ne peux rester ici Alouan. Je ne peux me permettre d'avoir ne serait ce qu'une minuscule faiblesse à proximité.

- Mais...

- Tu dois partir, retourner dans les marais perdus.

- Des choses se réveillent Ignea. Aucun endroit n'est sûr.

Un sourire de dépit étira les lèvres de la Dame.

- Ce qui est certain c'est que pour l'instant notre seul moyen d'être en sécurité à tous les deux, c'est d'être loin l'un de l'autre. Alors tu vas m'écouter et déguerpir d'ici.

- Tu ne seras jamais en sécurité. Où que je sois, où que tu ailles...

Elle plongea son regard noir dans le sien et lâcha d'un ton sans appel, se condamnant presque elle même :

- Je n'ai pas besoin de sécurité.

L'enfant leva ses yeux blancs et triste sur la Dame avant de baisser la tête. Son cœur se comprimait dans sa poitrine. Ignea était une figure presque maternelle, ou à défauts sororale, et voilà qu'elle le repoussait à présent, le renvoyant dans cet endroit si sinistre et dangereux... Alouan avait certes, des pouvoirs extraordinaires, il n'en restait pas moins un enfant.
La dame repris d'un ton plus sec et intransigeant :

- Me suis-je bien faite comprendre ?

Il hocha de la tête affirmativement tandis que les traits de la terrible femme s'adoucirent autant que possible. Ignorant son aversion pour toute marque d'affection, elle attira maladroitement l'enfant à elle dans ce qui ressemblait de près ou de loin à une étreinte qui ne dura pas plus de quelques secondes. Elle ébouriffa les cheveux blonds comme le blé du petit garçon. Puis elle s'éloigna et reprit son masque neutre et froid. Alouan tritura quelques instants sa manche avant de glisser :

- Avant de partir, je dois te prévenir Ignea. Des rumeurs courent par le palais et le marais.

- Il y a toujours des rumeurs et elles peuvent toujours courir.

- Cependant, celle ci, te concerne tout particulièrement.

La Dame fronce des sourcils et croise les bras, incitant d'un geste du menton autoritaire, l'enfant à continuer.

- On raconte partout qu'il se passe des choses étranges entre toi et Orion.

- À propos de notre rivalité et de notre haine ?

Alouan secoua négativement la tête tandis que le regard déjà noir d'Ignea se fit plus sombre encore. Elle entrevoyait les possibilités et certaines lui déplaisaient particulièrement. Face aux traits déjà tordus par le début de colère de son "amie", le petit garçon aux yeux blancs hésita à poursuivre. Agacée, la dame du Marécage cracha :

- Continue !

Il s'exécuta, sachant pourtant pertinemment qu'elle finirait dans une rage folle en apprenant ce qu'il se murmurait à Atralean.

- Certains vous prêtent une relation... plus qu'amicale.

Ignea en resta bouche bée, sans mot, tandis qu'un silence gênant s'installait. Et soudain elle se mit à rire. Elle ? Une relation avec Orion, ce misérable insecte enflammé qu'elle prenait plaisir à voir souffrir en supprimant un à un les membres de sa famille ? Ce n'était qu'une vaste plaisanterie... Elle sentait que son hilarité n'était pas prête de s'arrêter. Son rire grinçait, désagréable à l'oreille pour qui l'entendait. Pourtant, en voyant le visage penaud d'Alouan son hilarité se changea en colère et elle cessa immédiatement de rire.

- Cette rumeur est-elle parvenue à Alaster ?

- Sûrement, mais je ne pense pas qu'il y croira.

- Bien sûr que non.

Le ton de la Dame était hargneux et elle reprit :

- Alaster est bien la première personne à être au courant de ma haine meurtrière envers cette lignée. Que j'aie une relation avec Orion est impensable et impossible. Et il le sait. Seulement quelqu'un tente encore de semer la discorde entre nous.

- Ils veulent que tu sois esseulée...

- Je le suis déjà Alouan. Leur intervention n'y changera rien.

- Je suis là moi !

Ignea ricana. Cet enfant la surprendra de jour en jour. Il est bien trop gentil pour ce marais. Elle qui pensait qu'après six cent ans il se serait endurcit... Si on oubliait son don étrange et parfois inquiétant, il n'avait même pas sa place ici.

- Tu ne fais pas le poid contre le reste Al'. Et tu l'as bien vu, tu es actuellement plus un fardeau qu'une aide gamin.

Ses mots étaient fais pour être blessants mais il ne s'en formalisa pas et hocha la tête. Un rictus mi-amusé mi-agacé sur les lèvre, la terrible femme siffla :

- Bien, maintenant file. Et que je ne te revois pas avant de t'avoir rappelé moi même.>>

Alouan secoua la tête affirmativement. Alors qu'il s'éloignait, elle le rappela soudain, sa voix cassante résonnant dans l'air froid du marais. L'enfant se retourna, intrigué et attrapa en plein vol un objet que la Dame lui lança. Tandis qu'Ignea s'en allait sans un regard en arrière, le bruit de ses talons se répercutant dans le couloir, il observa l'objet : un médaillon vieux et cabossé qui dégageait d'étranges effluves de pouvoir. Une amulette contre les mauvais esprits et sortilèges. Ne comprenant pas trop pourquoi la Dame le lui avait offert il le retourna pour en voir l'autre facette et se figea en remarquant deux lettres gravées dans l'argent.

"I.C."

Atralean - La Dame Du MarécageWhere stories live. Discover now