Chapitre 33

912 70 25
                                    

Jorge

Quand je reviens chez moi, j'enlève rapidement ma veste et la laisse traîner. Je meurs d'envie d'ouvrir cette lettre, même si je ne veux pas l'admettre.
Je regarde l'enveloppe légèrement froissée dans ma main. Est-ce que c'est encore un tissu de mensonges ? J'ai besoin d'en avoir le cœur net.
Je grimpe les escaliers à toute vitesse et m'enferme dans ma chambre. Mon cœur bat plus rapidement que la normale.
Je déchire doucement le dessus de l'enveloppe avant d'en sortir deux pages rectos versos de l'écriture calligraphiée de Martina. Je déglutis.
Je m'assieds sur le lit et inspire un bon coup avant de commencer à la lire.

« Jorge,
J'ai cherché le moyen de t'atteindre ces jours-ci, et t'écrire une lettre me semblait la meilleure des solutions.
J'ai tout fait foirer, je m'en veux tellement si tu savais...
J'étais totalement perdue il y a trois ans. Quand j'ai découvert que j'étais enceinte, c'était par accident. Tu te souviens la fois où j'ai fait un malaise au cours d'éducation physique ? Eh bien en fin de journée, j'en ai parlé avec mes amies. J'avais énormément de retard dans mes règles, mais je me voilais la face. C'est vrai, je ne voulais pas d'un bébé. Comment j'aurais pu m'en sortir ? Tu allais réaliser ton rêve, ce dont pourquoi tu avais travaillé si dur toutes ces années, et nous étions tellement jeunes.
Ce sont les filles qui m'ont mis sur la route, qui m'ont fait comprendre que j'étais sûrement enceinte. Je ne voulais vraiment pas y croire, mais elles m'ont forcées à aller à la pharmacie où j'ai acheté plusieurs tests de grossesse. Ils se sont tous avérés positifs... Mais je continuais de proclamer que c'était impossible. On avait toujours été prudents tous les deux, et je prenais la pilule. Pour moi, ça ne pouvait pas arriver tu comprends ?
Le lendemain matin, j'ai dit à tout le monde que j'étais malade, et Mercedes m'a emmenée chez le médecin. J'ai vomis mes tripes ce matin-là. Oh Jorge, j'avais tellement peur. »

Une larme roule sur ma joue, et des taches sur le papier remplie d'encre s'ajoutent à celles que Tini avait déjà laissées.

« Quand on était dans la salle d'attente, je ne pouvais pas m'empêcher de penser à toi. J'aurais tellement aimé que tu sois avec moi à ce moment-là, mais je ne voulais pas paraître égoïste, et j'étais persuadée que c'était une fausse alerte. Une fois dans le cabinet, le médecin m'annonce bel et bien que je suis enceinte, que le bébé est en pleine forme, et que j'ai dépassé le stade où l'avortement est possible. Je suis tombée des nues, le monde s'écroulait autour de moi. Et mes études ? Et tes études à Paris ? Tout volait en éclats autour de moi sans que je ne puisse rien faire, sauf t'épargner. Et c'est ce que j'ai fait, aussi stupide que ça puisse paraître. Ça me semblait tellement logique à ce moment-là. Je voulais que tu vives ton rêve parce que je t'aimais - et je t'aime toujours plus que tout. Le simple fait de pouvoir t'arracher cette opportunité me hantait, je ne pouvais pas t'empêcher de partir. J'ai été distante la semaine avant ton départ à cause de ça. J'avais besoin de toi, c'était tellement horrible. Je ne savais pas quoi faire, et toi tu te réjouissais de partir. N'y vois bien sûr aucun reproche parce que j'étais heureuse pour toi, de te voir si enthousiaste et ambitieux. Mais ce bébé n'était pas dans tes plans ni dans les miens. Je ne voulais pas gâcher ton avenir, tes études représentaient tout pour toi.
Je sais pertinemment que si je t'avais dit que j'étais enceinte, tu ne serais jamais parti. Tu serais resté pour voir le bébé naître et être à nos côtés. C'est pour ça que je ne t'ai rien dit. Mais il fallait aussi que je m'assure que tu ne reviennes pas me voir, que tu ne prennes pas de mes nouvelles. Je ne voulais pas que tu te doutes de quelque chose. C'est pourquoi j'ai créé ces mensonges « je ne t'aime plus », « j'ai rencontré quelqu'un d'autre » ou encore « je veux rompre ». Tu ne sais pas à quel point ces mots ont été douloureux à prononcer, à quel point j'ai été malade juste après.
Je me souviendrai toute ma vie de la douleur que j'ai vu passer dans tes yeux à cet instant. Je t'avais brisé, mais j'étais persuadée que c'était la meilleure chose jusqu'à peu.
Après ton départ, j'ai fait une dépression dont j'étais la seule responsable. Tu me manquais tellement que c'était douloureux de me lever chaque matin. J'ai du arrêter les études, car bébé Ylana prenait de plus en plus de place et j'avais du mal à rester assise en cours. J'ai abandonné ma vocation pour elle. A cette époque-là j'étais en colère contre elle, contre notre bébé. C'est horrible quand j'y repense maintenant car elle n'était responsable de rien du tout.
Ce n'est que quand le poids dans mon cœur s'est légèrement apaisé que j'ai commencé à lui parler, à caresser mon ventre et à me réjouir de l'avoir dans mes bras. Ce petit morceau de toi qui malgré tout est resté avec moi, que j'allais chérir plus que tout.
J'ai remonté la pente avec l'aide de ma famille, et on a préparé la venue de la petite comme il se doit. J'avais accroché une photo de nous deux au dessus de son berceau, parce que je sais qu'au fond d'elle elle te connaissait. Elle a toujours su qui tu étais même si je ne lui en ai jamais parlé. Elle t'aimait déjà quand elle me donnait des coups de pieds.
Elle est arrivée très rapidement. L'accouchement n'a pas duré longtemps, elle a même failli arriver dans la voiture. C'était un très beau bébé, une belle taille, un beau poids et une parfaite santé. J'ai pleuré toute la journée ; de joie de l'avoir enfin dans mes bras, et de tristesse de ne pas t'avoir toi. C'est ce soir-là que je t'ai sonné, mais que tu n'as pas répondu à cause du décalage horaire. J'étais terrifiée, parce que j'étais seule avec elle.
C'est à ce moment-là que j'ai revu Peter. Il était infirmier à la maternité. Il a été très gentil avec moi, c'est pour ça que je l'ai laissé entrer dans ma vie. Je trouve ça complètement absurde parce que je n'étais pas amoureuse de lui, je continuais de penser à toi. J'avais juste besoin d'avoir quelqu'un avec moi, la solitude me rongeait et cela même avec mon bébé à mes côtés.
D'ailleurs, la première chose que j'ai remarqué chez elle, ce sont ses yeux, enfin les tiens. J'ai su à ce moment-là que tant qu'elle sera avec moi je tiendrai le coup, et j'ai commencé à me sentir moins triste.
La vie file quand on a un enfant on ne te l'a jamais dit ? Eh bien c'est le cas, j'ai l'impression que la naissance d'Ylana remonte à hier.

Je t'ai tout dit dans cette lettre il me semble. Je ne saurais combien de fois te répéter que je suis terriblement désolée d'avoir agit de la sorte, que si je pouvais remonter le temps je le ferais. Mais on sait tous les deux que c'est impossible. J'ai appris des mes erreurs, je ne te cacherai plus rien. Je suis tellement amoureuse de toi... Je t'aime plus que tout Jorge si tu savais ! Ylana a tellement de chance de t'avoir, je m'en veux de l'avoir privée de ta présence pendant tout ce temps. Tu mérites d'être heureux et elle aussi. Vous allez être heureux tous les deux je le sais, parce que je ne ferai jamais plus rien qui puisse vous séparer l'un de l'autre.
Si tu veux obtenir une garde partagée, j'accepterai directement c'est promis. C'est ton bébé, elle vient de toi et elle aura besoin de toi.
J'espère que cette lettre t'aura aidé à comprendre l'origine de mes actes, et peut être à moins me détester. Je sais que dans la vie tout ne peut pas être rose mais au moins je me sens soulagée d'avoir réparé cette erreur. Si jamais tu veux en parler, je m'ouvrirai à toi, je répondrai à toutes tes questions je te le jure.
Je t'aime plus tout, pardonne-moi.

Ta Tini. »

Je laisse retomber les feuilles sur le lit et je fonds en larmes directement. Je n'ai jamais été touché de cette manière, je me sens vidé.

¿Dónde está tu mamá ? {JORTINI} Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant