Cruauté

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C'est enfin le week-end. La rouquine dépoussière son piano et se laisse aller. Elle joue en évacuant sa frustration et sa colère qu'elle éprouve contre les gens d'ici et contre elle-même. Elle est prête à s'arracher les doigts dans chaque note de musique jusqu'à s'abandonner entièrement.

La scène avec Figz passe en boucle. Le matelas est à plat et Elysabeth est en train de faire une fixette sur la répugnante perfection de ce monstre. C'est un signe envoyé par Jésus. Tout ce qui est beau et surfait en apparence peut être pourri de l'intérieur.

Elysabeth a les yeux grands ouverts. Elle est à l'étroit entre ces murs !
Du Tonquin enfile une laine par-dessus sa nudité et dévale les escaliers.

Elle avance précipitamment sans savoir où aller. Jamais elle n'était sortie visiter l'inconnu. L'air découpe sa peau.
Il y a le bruit étouffé et étouffant de l'Ouvèze. Rien n'est ouvert.

Des passants ivres la frôlent. Elle tourne la tête. De la musique s'élève. Intriguée, elle suit ces notes de musique. Un jeune couple s'embrasse sur le trottoir. Elle les contourne. Elysabeth a l'impression de violer leur intimité. Ils se bouffent les lèvres. Elle ne sait pas ce que c'est. Elle ne connait les baisers qu'à travers les discours de sa sœur. Regrette-t-elle à son âge d'avoir barré la route menant à ses lèvres ? Non. En même temps, aucun jeune homme ne lui a jamais fait la cour. Un jour, son tour viendra. Un jour, Jésus la conduira à un homme. Elle pourra alors offrir ses lèvres et son corps. Elle frémit à ses pensées honteuses.

Elle traverse une autre ruelle. Un type vomit en jurant. Effrayée, elle accélère le pas. La rue sur la gauche est animée. Un paquet de gens enchaînent les cigarettes. Certains dansent. D'autres hurlent de rire. Son insomnie l'aurait-elle conduit à un endroit de débauche ? Elle détaille le lieu. C'est un bar dansant sur le point de fermer. Il y a une grande affiche. On cherche un artiste pour animer un concert de piano. Elysabeth regarde à l'intérieur. La décoration est vraiment étonnante et sympathique, assez rétro avec quelques tableaux plutôt abstraits. Au fond, il y a une scène avec une guitare et un piano. La serveuse range les chaises et essuie les tables. Elle secoue un individu affalé sur le comptoir en lui demandant sûrement de partir. La personne remue, ivre morte, un verre encore rempli dans la main. C'est une femme. Les femmes ne devraient pas boire comme ça. C'est laid. La jeune femme tangue et se rattrape à temps sur le comptoir. Elle peine à marcher. Elysabeth n'en revient pas ! C'est Tess Figz !

Ce soir, sa directrice est revêtue d'un pantalon en cuir. Son fessier est plus proéminent que jamais. Mais quelle tenue inappropriée pour une directrice ! Elysabeth est outrée ! Tess Figz se dirige vers la sortie. Elysabeth est prise d'effroi. Cette situation est embarrassante. Tess Figz a l'air triste et moins autoritaire, fragile et bancale.

Tess Figz avance péniblement. Elle se retient contre le mur. Elle est à quelques mètres. Betty avait pris l'air pour ne plus penser au calvaire que lui a fait vivre Figz ! Et quoi ! Elle est ici à deux doigts de vomir. Bon sang, Tess approche ! Elysabeth ne veut pas vivre ça. Tess bredouille quelques phrases.

_ Une cigarette... Donnez-moi une cigarette. Mdame... Une cigarette...

Elysabeth croit rêver ! Dans quelle pagaille s'est-elle mise ? Heureusement, l'ombre recouvre son visage. Elle enfile sa capuche et s'enfuit. Sa laine se soulève, laissant découvrir ses fesses. Derrière, elle entend sa directrice crier.

_ JOLIE PAIRE DE FESSES ! ESPÈCE DE CONNE ET MA CIGARETTE ! REVIENS !

Elysabeth n'a jamais couru aussi vite pour rentrer chez elle.

_ Franchement Jésus, je ne sais pas à quoi tu joues mais ce n'est vraiment pas cool.

Que faisait Tess Figz, seule, à une heure pareille ivre morte dans un bar ? D'ordinaire, les gens débauchés boivent entourés. Il y avait tant de détresse dans son allure.

Les folies de TessDonde viven las historias. Descúbrelo ahora