S'accrocher, espérer, expirer, respirer

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Imaginez-le comme la vie d'un souffle, de l'inspiration de l'oxygène jusqu'au crachat du dioxyde de carbone ou l'inverse. Un souffle qui aura tout vu dans sa courte vie. C'est une respiration qui dure une semaine...

Tess vient de dégringoler les escaliers... Betty peut encore entendre ses gémissements. Elle peut entendre la torture au fond de cette poitrine...

Et il lui a fallu être forte pour la repousser cette poitrine écrasée contre elle. Ça lui a égorgé le cœur. Elle sait ! Oui, elle sait que Tess n'est que sincérité dans ses sentiments fougueux envers elle. Oui ! Tess l'aime et chez Betty s'installe déjà le piège d'un feu contradictoire... Tous les sentiments contraires l'aspergent. Ce soir, elle l'aura haï plus fort oui ! La voir en face d'elle, la voir penaude et défaite lui auront donné des envies profondes de violences muettes ! Et puis elle a eu le malheur de l'écouter... Et ces mots l'ont touché, cet amour suintant à plaie ouverte l'aura touché dans ses propres plaies à elle... C'est comme si ce soir, elles avaient superposé leurs deux blessures répugnantes, et si belles pourtant. Que la fièvre qui avait cloué Tess sur elle, parcourait à présent son corps et son esprit n'est pas loin de flancher... Elle l'a haï presque autant qu'elle l'a aussi aimé ce soir.

Et quoi ! Est-ce que d'être une écorchée vive excuse tout ! Ça n'excuse rien !
Il est vingt heures... Et Betty se gronde intérieurement d'avoir fait la guerre ici... Elle ne pleure plus. Quelques larmes auront suffi... Et les mots de Tess tournent comme une boucle nouée à son cou...

Il reste encore un peu de son odeur... Elle voudrait l'ôter à jamais ou bien périr dedans... Les mots s'emmêlent... les mots l'empoignent. Et quelle poigne ! La colère l'assaille... Tess a simplement saisi sa chance... et elle est prisonnière aujourd'hui de cette chance... Elle lui en veut. Elle sent cette jalousie ridicule et viscérale... Elle porte son nom à lui ! Et ce n'est pas rien !
Seize ans... Ça lui jette un froid... Elle est honteusement jalouse... jusqu'à griffer le tissu, jusqu'à la crampe à l'estomac. C'est insupportable. Elle ne pensait jamais ressentir ça... Se dire que tout ce temps elle était à un autre. Et au-delà du mensonge, qu'elle déteste au plus profond d'elle, ce qui la rend folle, ce qui lui a brisé chaque os, c'est ce sentiment que Tess n'est pas à elle, que cette bulle était en réalité vide... Et Tess pourra dire tous ces mots, elle pourra bien lui dégueuler son amour à bouche ouverte, cette sensation tortionnaire est tatouée et gonflée sous sa peau...

De loin, elle entend son téléphone l'extraire de ses pensées en rupture profonde avec elle-même... Ça doit être elle, ou bien Eve... Non ! Dans un geste surhumain, elle attrape son smartphone dans l'idée de bloquer ces deux numéros. Elle a mal pour Eve... Mais elle sait ce que Eve pensera de tout ça... Elle dira que Tess a eu ses raisons et qu'elle mérite une autre chance...

Betty est surprise. Il s'agit en vérité de sa mère. Et ça lui fait encore plus mal...avec toutes ces histoires qui ont mal tourné, elle en a oublié de rappeler sa mère pour prendre des nouvelles...

Elle rappelle.

_ Maman ? ("Betty essaie de reprendre ton souffle...")
_ Betty... Je suis contente de t'entendre... Tu vas bien ? Tess va bien ?
_ Ne te fatigue pas, tu sais... C'est compliqué... ("Refoule ces larmes... ne pleure pas pour une relation devenue passée sur quelque chose de futur. Ce n'est pas compliqué. C'est mort.")
_ Ça ne va pas ? Tu veux en parler ? Si tu ne veux pas m'en parler, je comprendrai...

Betty crève d'envie de tout déballer, de déverser sur sa mère tout ce que son corps a capturé de Tess, lui dire tout ce que le corps de Tess a capturé d'un autre en seize ans. Seize ans... Quand Tess a épousé ce pervers Betty avait tout juste onze ans... Elle n'arrête pas de penser à ça. C'est vrai qu'elles ont de l'écart finalement... Elle ne l'a jamais vécu comme ça... Betty se dit qu'elle se fracassait dans sa propre enfance, qu'elle donnait son enfance à Dieu et qu'elle haïssait sa mère comme on hait un criminel... Qu'à des centaines de kilomètres, à l'époque, une jeune Tess fuyait sa vie... Ça la poignarde encore.

Les folies de TessWhere stories live. Discover now