Les folies de Tess

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Garde les yeux ouverts, qu'ils te dévorent, laisse-moi te montrer, Tess.

Tess tente de se relever. Et elle a l'impression de réaliser une prouesse, un des douze travaux d'Héraclès ! Tous ses muscles ne sont que plus que saillies, ébouillantés, prêts pour l'anarchie !
Elle murmure des prières incohérentes. Elle essaie de bloquer, de contenir l'ouragan et la tornade qui arrivent droit sur elle et ce qui lui reste de certitudes de vie ! Elle devine le monstre du ciel s'abattre sur elle, ça arrive. Et Tess détale de la pièce, semant derrière elle, ces photos. Elle croit laisser le fantôme de son père. Elle croit laisser cette incertitude-là et reprendre sa vie d'avant. Elle n'est plus sûre de vouloir savoir. Mais son corps est dépouillé de forces. Ses muscles ne répondent plus. Il n'y a plus aucun message nerveux qui circulent. Il y a cet affolement grotesque qui lui ouvre ses bras poilus, ce spectre morne, ce croque mite haine, ce monstre maléfique qui n'a pas eu le temps de dévorer toute son enfance et aujourd'hui, ça veut l'engloutir. L'horreur l'appelle. Tess Figz déboule des escaliers la tête la première. Elle ne fait même pas de bruit. Sa mère aussi a valdingué dans ses mêmes escaliers, en boule, en planche, et en croix !

Si son âme avait un corps, elle aurait laissé des traces sur le sol, de putréfaction instantanée. C'est le chao dans cette tête. Ce sont des doigts qui écartent une chair morte, si tendue encore. C'est l'amoncellement de cadavres de souvenirs qui veulent vivre à nouveau. Elle voit son père partout. Elle le respire. Et c'est tellement violent pour cette femme.
Elle n'a sans doute pas le pilier pour rester intacte. Non, elle n'est qu'un corps pulvérisé aux mensonges, ment sangre.

Il faut avaler d'abord avant de cavaler. Ouvrir grand la bouche en forme de lame de cette âme d'enfant, de cette ossature frêle, y glisser ce que certains ont volé. Dépouiller une enfant de sa vie devrait être considéré comme un crime abominable. Mentir à un enfant est la pire chose, Tess a toujours détesté les enfants ! Ceux qui braillent à tord et à travers de chair ! Elles haït surtout les parents. Cette hypocrisie parentale, depuis toujours, lui donne la gerbe ! Ça lui a souvent donné des envies de meurtres. Les parents passent leur temps à mentir à leurs putains de gosses. Mais n'ont-ils pas été enfant eux aussi un jour ! Oh si et à eux aussi, on a menti. Et le mensonge c'est presque génétique, inscrit dans son ADN. Le mensonge pond ses oeufs dans la chair lasse et fatiguée. Ça pullule de mensonges, de vérités arrachées, arrangées, rhum améliorés.

Elle déteste les enfants pour ce qu'on devrait leur cacher ! Sans savoir que c'était elle l'enfant ! Qu'il y avait en elle cet enfant mort qui gémissait ! Enfermée ! Une enfant qu'on avait obligé au silence ! On a modelé sa vie pour sauver les apparences au fin fond d'un village isolé.

Tess arrive à nouveau dans le salon, sans rien de cassé. Tout est rompu à l'intérieur d'elle. Ce n'est qu'une sensation d'un grand huit qui ne s'arrête plus, la machine est possédée, scorcisée. Le grand huit infernal se détache, se balance dans ses cendres, pour que les corps tombent, se fracassent.

CESSE DONC DE TENIR FERMÉE CETTE PORTE TESS, LA VAGUE ARRIVE, ET REDÉPOSERA TOUT EN TOI.

Tout ce qu'on t'a volé, Tess, te recouvrira, ça plantera, ça repoussera, ça germera encore, quitte à y semer la folie.

Tess n'a même pas assez de calme et de poigne pour se demander à juste titre, et d'où sort cette soeur, d'où sort ce père cub'hun ! Elle n'a plus rien, ou si, lui reste ce bout auquel elle se raccroche. Elle est là, la sorcellerie. Tess contracte tout son corps, comme elle tenterait de garder des haltères d'une tonne au-dessus d'elle pour ne pas que ça l'écrase, le poids vacille au-dessus de sa tête. Sa mâchoire se crispe, limée comme un ongle qui passe sous une gorge, lame de rasoir, coup d'os ! Ses muscles sont liquides ! Elle s'accroche... Coups de sacs remplis de roches de Lune qui se flétrissent sur son ombre !
Non non non, elle ne veut pas. Elle se bat contre elle-même, pour maintenir cette paralysie amnésique.

Les folies de TessWhere stories live. Discover now