Chapitre 1 - partie 5/5

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À présent, Charles contemplait, stupéfait, ses immenses yeux gris frangés de cils dorés interminables, son nez aquilin, ses joues rougies par sa course effrénée, sa petite bouche rose dans un délicat visage en forme de cœur, encadré d'une ravissante chevelure couleur des blés où se mêlaient d'étranges reflets roux. Elle lui arrivait à l'épaule et avait une taille de guêpe, si bien qu'il songea qu'il pourrait en faire le tour simplement avec ses mains. Mais, malgré sa grande beauté, il semblait évident qu'elle ne mangeait pas à sa faim. Ses joues légèrement creusées en témoignaient mieux que personne.

Un faible murmure le sortit de sa rêverie, prononcé si bas que ce fut à peine s'il l'entendit.

- Je vous en prie...laissez-moi partir, implora-t-elle.

Sa voix était douce et musicale à ses oreilles, bien qu'il y perçât une certaine détresse.

Il resta un instant silencieux, se demandant que faire et quelle attitude adoptée. Puis se décidant, il lui dit doucement :

- Il faut tout d'abord que vous m'expliquiez pourquoi vous voulez-vous sauver.

- Je...je veux m'en aller... Lai...laissez-moi, supplia-t-elle de nouveau.

C'est alors qu'il s'aperçut que la jeune femme avait des larmes plein les yeux. À cette vue, la compassion l'envahit.

- Dites-moi simplement pourquoi vous êtes bouleversée à ce point, reprit-il tout doucement afin de ne pas l'effaroucher. Ainsi que la raison pour laquelle vous mettez un point d'honneur à me fuir de la sorte.

- Je dois m'en aller...il le faut, répéta-t-elle dans un souffle. Il ne faut pas qu'il me voie.

- Qui donc ?

- Je vous en supplie, lâchez-moi, dit-elle encore, tout en se débattant.

- Je vous laisserai à la condition que vous restiez et vous expliquiez, ordonna Charles de sa voix autoritaire.

Tandis que Carmella restait là, indécise, Charles remarqua qu'elle portait pour tout vêtement une veille robe trop petite pour elle et passablement défraîchie, ainsi qu'un châle qui tenait plus de la vieille couverture oubliée depuis l'Antiquité dans une armoire cabossée. Elle devait avoir froid.

Voyant un banc non loin de là, il l'y entraîna de force. Puis avec des gestes doux, l'aida à s'y asseoir. Il prit place à ses côtés, bien qu'il se soit aperçu qu'elle gardait ses distances.

Retirant sa veste noire, Charles en couvrit les épaules de la jeune fille qui, la tête baissée, ne s'en rendit compte qu'en sentant la veste se poser sur ses épaules.

Relevant la tête, elle s'apprêtait à protester, mais les mots moururent sur ses lèvres en fixant l'inconnu. Elle détourna la tête.

Quelques secondes s'écoulèrent durant lesquelles le silence reposant de la nuit s'installa.

Se tournant vers elle, Charles s'abîma dans sa contemplation.

Elle est vraiment ravissante bien que son état soit désolant, se dit-il.

Puis, l'observant plus attentivement, il s'aperçut qu'elle sortait à peine de l'adolescence.

Tout à coup, la petite voix se fit entendre pour murmurer :

- Vous devriez retourner... à la réception avant que... l'on ne remarque votre... absence.

- Je n'y tiens pas. Pour être franc avec vous, cette soirée ne m'était pas très sympathique.

- Vraiment ? dit-elle, incrédule. J'ai du mal à le concevoir.

Charles s'aperçut qu'elle contemplait sa tenue de soirée avec admiration. Il se dit qu'il était temps d'engager une conversation réellement constructive. Il réfléchit sur la meilleure manière de débuter la conversation, puis laissa échapper une exclamation qui attira l'attention de la jeune fille.

- Mais je manque à tous mes devoirs, je ne me suis même pas présenté !

Se levant, puis s'inclinant en une révérence, il annonça :

- Permettez-moi de me présenter, je m'appelle Danwick, Charles Danwick.

Il avait jugé préférable de ne pas user de son titre avec une parfaite inconnue. C'est donc à son grand étonnement qu'il la vit se lever pour faire à son tour une profonde révérence.

- Vous devez être le marquis dont ne cesse de parler Cheryl. Vous me voyez enchantée de faire votre connaissance, mais à défaut de vous fausser compagnie, il me faut absolument m'en aller.

- Vous connaissez Cheryl ?

- En quelque sorte...

- Je vois. Quant à vous retirer, il n'en est pas question, du moins pas tant que vous ne vous serez pas présenté comme une personne de votre rang le doit, indiqua-t-il.

Posant sur lui un regard empli de désarroi, Carmella bégaya :

- Co... comment... comment... le savez-vous, ... je veux dire... c'est faux !

- À quoi bon nier la vérité quand elle saute aux yeux ? répliqua Charles avec bon sens.

Le fixant avec dans les yeux une expression de petite fille perdue, il crut bon d'expliquer :

- Il semble évident que vous vous exprimez plus que correctement pour être une simple domestique, qui par ailleurs n'aurait pas omis de me donner du « milord », dit-il en lui adressant un sourire que toutes les femmes trouvaient irrésistible.

Pourtant, dans un geste parfaitement inattendu, elle se jeta à genoux tout en le priant :

- Par pitié, n'en soufflez mot à personne ou mon oncle me corrigera de nouveau!

Charles crut tout d'abord à une mauvaise plaisanterie de sa part, mais, s'apercevant qu'elle ne bronchait pas, il s'entendit répéter :

- Ou votre oncle vous corrigera... de nouveau ?

Portant la main à ses lèvres, Carmella murmura, tandis qu'une peur sans nom se lisait dans ses yeux :

- Je ne voulais pas... je ne... je ne devais pas...

Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase que déjà elle s'écroulait, basculant en avant.

Le marquis eut tout juste le temps de la rattraper avant qu'elle ne tombe inerte à ses pieds. Il se retrouva un genou au sol, le corps de la jeune femme soutenue par ses mains et son torse contre lequel elle était appuyée.

Le marquis la déposa sur le sol avec délicatesse, avant de s'agenouiller à son chevet. C'est alors qu'il s'aperçut avec horreur que, dans sa chute, elle était tombée sur le ventre, la veste et l'étoffe rugueuse avait glissé de ses épaules, dévoilant son dos. Il était lacéré de coups qui se croisaient et s'entrecroisaient, certaines encore à vif, formant des ecchymoses de teintes bleue et violette.

Il la contemplait, horrifié, indécis sur la manière la plus appropriée d'agir quand un rayon de lune, éclairant le visage de la jeune fille, reflétant son innocence, sa jeunesse, le décida en une fraction de seconde.

Récupérant sa veste, il la lui plaça de nouveau sur les épaules. Puis la soulevant avec délicatesse, il l'emporta vers les écuries à grandes enjambées.

Ce destin qui nous lieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant