Chapitre 2 : Riley

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La nuit va être courte. Demain, je vais chasser du gibier avec mon père en bas de la colline sur laquelle nous vivons. L'an passé, nous avons eu un sanglier et une biche. Nous les avions apportés à la maison et déposés dans le garage, j'ai d'ailleurs plain Ivy qui a dû dormir une nuit entière face à ces bêtes. Je n'aurais personnellement pas supporté.

Je me tourne et me retourne indéfiniment à la recherche de la moindre trace de sommeil. En vain. Je n'entends plus Ivy dans la cuisine. Elle doit être descendue à la cave pour dormir. Je n'ai jamais compris mon père, il la recueilli et puis il nous a dit de ne jamais nous en approcher parce qu'elle est louche, comme ses parents l'étaient, nous répète-t-il souvent à mes surs et moi. A sa place, je ne l'aurais pas rapporté dans ma maison si elle pouvait être dangereuse. Néanmoins en onze ans de vie ici, Ivy n'a jamais bronchée. C'est à peine si j'ai entendu, une ou deux fois, le son de sa voix. Quand elle est arrivée, elle na rien dit, ne nous a pas regardé. Mon père la vaguement présenté mais je ne me rappelle pas plus. Je pensais avoir une sur, j'ai eu une femme de ménage, cuisinière enfin tout sauf ce que je m'attendais à recevoir.

J'ai à maintes reprises tenté de discerner la couleur de ses yeux ou juste de voir son visage, sans succès. Cela fait des années quelle marche tête baissée, on dirait qu'elle est toujours à la recherche d'un objet perdu sur le sol. Mais en faisant cela, elle perd de la dignité et surtout de sa beauté. J'ai longtemps essayé de me convaincre qu'Ivy était laide, bizarre mais à l'évidence ce n'est pas le cas. Elle est étrange car elle a été élevée dans un monde étrange. Nous n'avons pas été tendre avec elle et je ne comprends pas pourquoi. Parfois j'ai envie de prendre son menton entre mes doigts et lui relever le crâne pour pouvoir scruter son visage. Je voudrais la voir sourire et pas seulement la voir grimacer. Quand elle a eu dix ans, elle a commencé à faire le ménage, ranger les pièces et depuis elle ne s'est jamais arrêtée de travailler. Elle cuisine, range, nettoie, classe les papiers du domaine et fait même régulièrement mon lit, à vrai dire, tous les matins. De temps en temps, ça m'attriste de la voir peiner, je voudrais l'aider ou simplement lui accorder un répit mais mon père ne serait pas du même avis. Il n'a jamais rien dit la concernant, je ne sais pas d'où elle ne vient ni comment elle a atterri chez nous, je sais juste qu'elle est Irlandaise. Elle est orpheline et nous l'avons recueilli, nous la logeons et lui donnons à manger contre le fait qu'elle se rende utile me répète Amber.

Ivy n'est jamais allée à l'école, elle sait lire, écrire, compter, le strict minimum L'assistante est venue une ou deux fois et est repartie toujours très rapidement. Ivy n'a jamais rien demandé. Elle obéît. Comme une esclave

J'attrape mon carnet de dessins dans ma table de chevet et massois sur mon lit. Mon crayon est à l'intérieur, mon dernier dessin est un tas de mousse que j'ai repéré dans une clairière plus loin dans la vallée. Je n'ai trouvé que ça pour passer le temps à table tout à l'heure. Je ne pouvais quand même pas me mettre à dessiner Ivy en train de ramasser le verre qu'Amber à outrageusement pousser par terre pour obliger Ivy à se ridiculiser devant la famille. Heureusement personne n'a réellement remarqué qu'Ivy avait sauté sur le balai à la cuisine pour nettoyer, tous trop occupés à papoter. Je n'ai jamais aimé Amber, j'ai été obligé de l'accepter dans la famille mais il ma suffi d'un regard pour comprendre que c'était une garce. Elle prend l'argent du domaine viticole pour se payer de la chirurgie. Mon père trop aveugle et manipulé par cette femme n'y voit que du feu Elle prétend l'aimer mais ne manque pas une occasion de le foutre dans la merde. Mon père va bientôt crouler sous les dettes si elle n'arrête pas de vouloir se refaire les seins ou les fesses. Cette soi-disant mannequin s'est immiscée dans notre vie, il y a deux ans, et a désormais entièrement remplacé ma mère dans le cur de mon père. Pourtant, ma mère vit encore sur le domaine. Elle a racheté une partie de la maison et la aménagé selon ses goûts. C'est-à-dire avec un séjour spacieux, très moderne et luxueux ainsi qu'une vaste cuisine agencée de manière à avoir un accès à la terrasse. Mon père la lui a faite, elle est en bois de chêne. Il le lui devait bien, il l'a trompé avec Amber avant qu'ils divorcent.

Je feuillette les pages de mon carnet. De nombreux dessins d'Ivy couvrent celles-ci, de différentes façons j'ai tracé ses fins traits. J'ai souvent imaginé son regard se poser sur moi et j'ai dessiné son portrait. Bien sûr, elle n'est pas la seule femme à remplir ce carnet, j'ai fait le portrait de pratiquement toutes les ex mais aussi de ma mère et mes surs. Intéressé par les femmes, je trouve plus amusant de dessiner de longs cheveux et un visage doux plutôt qu'une vulgaire barbe et des cheveux en épis. Néanmoins, jamais je n'ai trouvé le courage de dessiner Amber, elle ne ferait que gâcher une de mes pages pour rien.

Je griffonne quelques petites lettres dans un coin de papier pour me rappeler de laisser la place pour un futur dessin puis je dessine sur la page suivante le ciel et la neige qui tombe devant ma fenêtre sans réellement m'appliquer.

Je termine le dessin environ une heure plus tard. Je range soigneusement mes uvres dans le tiroir et glisse mon crayon mâchouillé dans ma trousse parmi les autres.

Je branche mon IPhone puis m'allonge sur le dos, le regard rivé sur le plafond. Je suis là, couché dans un lit immense situé dans une chambre plus grande encore. Je pense à Ivy, cette fille na jamais eu de vie. Pas d'amis, pas damour, pas même un peu de reconnaissance pour le travail qu'elle effectue chaque jour. Dans quelques mois, elle aura dix-huit ans. Mon père ne sera dont plus obligé de la garder sous notre toit, elle se retrouvera livrée à elle-même dans un monde inconnu Parfois ça me fait de la peine d'imaginer la merde que ça va être pour elle dans l'avenir mais en même temps ça me rappelle que ce n'est pas mon problème. Mon futur est assuré, j'ai une merveilleuse petite amie, Jade, de l'argent et bien sûr je prendrai la relève du domaine quand mon père partira à la retraite. Je continuerai à vendre mon raisin et je m'occuperai correctement des vignes pour permettre à nos associés de concevoir ce merveilleux vin qu'est le Côtes du Rhône.

Sur ces belles pensées, je ferme les yeux rapidement enseveli par de beaux rêves.

Orpheline Tome 1 : Pour toujours et à jamais... Where stories live. Discover now