Mondial

"Et ils vécurent heureux..."

— Tu as réussis !

Le cri de Kiera tranche l'air dans un éclat vif. Bondissant sur ses pieds, elle fait volte-face, se tournant vers une Aerdna encore blême devant l'écran de son ordinateur.
Devant les résultats de son concours du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré.
Devant ses résultats.

Aerdna a réussi. Elle peut désormais enseigner en langue des signes et transmettre !

Peinant encore à la réaliser, elle se tourne vers la fille de l'hiver qui la dévisage, aussi éclatante et lumineuse qu'une étoile.

Et sans plus attendre, elle lui saute dans les bras. La jeune albinos serre fort contre elle son amie de toujours. Elle la serre contre son cœur et l'étreint avec la force de la satisfaction, de l'amour et de la félicité.

Et de cette étreinte, seule une immense tendresse se dégage.

Brièvement, les voilà qui se détachent. Elles se fixent, des galaxies dans les yeux, pétillantes et scintillantes. Et poussée par un nouvel élan d'euphorie, Kiera attrape les mains de son amie avant de se mettre à sauter partout, entraînant derrière elle Aerdna dans une danse effrénée, poussant un cri exultant de joie.

Et même les cordes vocales irrémédiablement abîmées de la belle muette ne peuvent empêcher le rire qui lui échappe. Un son étouffé, inhabituel... La plus belle des chansons aux oreilles de la fille de l'hiver.

Une chanson au rythme de laquelle elles sautillent, bondissent, laissant libre-court à tout le bonheur du monde. Leur bonheur à elles. Le bonheur de deux âmes sœurs unies par-dessus tout.

À force de sauter, les voilà qui chutent. Qui chutent et sans se blesser, s'affalent au sol dans un éclat de rire si joyeux que le malheur semble avoir disparu à tout jamais de ce monde.

Et Kiera se rappelle tous les moments merveilleux qu'elles ont passé ensembles. Il y a deux saisons, jamais elle n'aurait cru que les choses seraient ainsi aujourd'hui. Jamais elle n'aurait cru être ainsi heureuse. Désormais, elle n'est plus seulement en vie. Elle vit. Purement et simplement.

Elle vit et sa vie, elle la veut pour toujours ainsi. Dans un mélange de jovialité et de surprises, aux côtés d'Aerdna, et la fierté au cœur. Fière d'être qui elle est !

Un instant, elle repense à toutes ces histoires qu'elle avait lues enfant, que son amie aimait à signer... De belles histoires.
Un peu naïves, un peu enfantines.
Dans lesquelles, malgré tous les obstacles, les barrières et les limites, les rêves finissent toujours par se réaliser. Et la fin est toujours la même...

Et ils vécurent heureux jusqu'à la fin des temps...

Le rire de la fille de l'hiver s'atténue mais pas l'éclat dans son regard alors qu'elle observe son amie, encore secouée par l'hilarité et la joie. Son amie qui resplendit. Son amie qu'elle aime...

La vie n'est certes pas un conte de fée, mais aujourd'hui, Kiera a l'impression d'en vivre un.

— Dis Aerdna...

La belle muette lève sur son amie de toujours un regard doux, inquisiteur. Encouragée Kiera se laisse tomber sur le dos, son regard se perdant sur la blancheur du plafond au-dessus d'elle.

— Crois-tu que nous aurons notre fin heureuse un jour ?

Les mots lui échappent, teintés d'une légère crainte, presque irréelle, évanescente. Mais son ton bien plus posé laisse place aux milliers d'interrogations qui se déchainent dans son esprit, sous sa chevelure de neige, en un maelstrom de pensées sans fin.

Un instant, c'est comme si l'euphorie s'était envolée pour laisser place à un grand vide. Non pas le néant... Plutôt ce vide qui s'étend à la fin d'une falaise, celui qui donne envie de s'envoler, celui qui créé une telle impression d'immensité... qu'on pourrait s'y noyer. Qu'on voudrait s'y noyer.

L'aurore des yeux de la fille de l'hiver se confronte aux ombres de ceux d'Aerdna. Leurs éclats de rire calmés, seules leurs respirations s'entendent. Mélodie aussi légère que la caresse d'une plume...

Et enfin, Aerdna, esquissant un sourire délicat, laisse ses mains s'exprimer pour son cœur et signe :

« Oui, nous l'aurons ! »