Mondial

"Use your voice" *

— Ça ne te manque pas parfois ?

La question rompt le silence. Aerdna dépose le livre qu'elle lisait jusque-là et fronce les sourcils.

« Quoi donc ? »

— Ta voix ?

Face à elle, la fille de l'hiver la scrute de ses grands yeux clairs, empreints d'interrogations, d'étincelles et de vie. Des yeux dénués de jugement, juste à la recherche de la réponse à une question qu'elle n'a jamais osé formuler.

Aerdna hésite. Elle hésite en son cœur, en son âme. Elle hésite parce que la réponse, elle la connait. Mais elle n'hésite pas longtemps. Car il n'y a jamais eu de secret entre elle et Kiera.

« Parfois, c'est difficile. Je suis muette, pas sourde. Les remarques désobligeantes ne m'échappent pas mais je ne peux pas toujours me défendre. Et contrairement à toi, je ne sais pas non plus user des mots et de ma plume pour me faire entendre. Alors parfois, je me dis que ma voix me serait bien utile. Ne serait-ce que pour hurler sur les imbéciles qui m'insultent dans le métro. »

Elle marque une pause. Elle a signé si vite qu'elle en est presque essoufflée. Si vite que ses gestes ont dépassé sa pensée. Si vite, que c'est son cœur qui s'exprime.

« Et puis, très peu de monde parle ou comprend la LSF, parce que ce n'est pas toujours considéré comme normal de l'apprendre. Pourtant, ce ne serait pas difficile. Accompagner les mots de gestes. Accompagner la voix des doigts... Juste le strict minimum. Juste de quoi se faire comprendre. Ce serait déjà suffisant. Si je me perds, si j'ai mal, si j'ai peur, si j'ai besoin d'aide... Il n'y a qu'avec ça que l'on pourrait m'aider ! »

Kiera acquiesce. Kiera se rappelle de ses cours de langue des signes afin de pouvoir communiquer avec son amie, de pouvoir la comprendre, de pouvoir l'écouter avec les yeux, avec le cœur. Elle se rappelle de la difficulté au début. Elle se rappelle de sa frustration de ne pas avoir appris plutôt.

Les deux petites filles avaient trouvé un moyen de se comprendre, entre elle. Mais ce n'était pas suffisant.

Et si aujourd'hui Kiera peut comprendre, ce n'est que parce qu'elle en a eu la possibilité. Et aujourd'hui, c'est avec les yeux, avec le cœur qu'elle écoute les mots de la belle muette.

« Mais je ne dirais pas que ma voix me manque. À moins que la médecine puisse faire des miracles, elle est partie en fumée. Et ce qui brûle ne revient pas. Et ce n'est pas grave. Parce que, malgré tous les obstacles, j'ai encore le moyen de m'exprimer, d'exprimer mes joies, mes malheurs, ma colère, mon amour... Et mon espoir qu'un jour, il n'y aura plus de frontière entre le monde des mots et celui des gestes. Et c'est à ça que j'œuvre en enseignant, en voulant transmettre, et en ne me décourageant pas. »

Car le plus important, car l'essentiel, c'est de pouvoir s'exprimer, qu'importe la façon. C'est de pouvoir se faire entendre ! C'est de pouvoir utiliser sa voix, qu'elle soit audible ou non.

* Utilise ta voix.