Chapitre 12

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 Le nez recouvert par le col en laine de mon pull, je sautillais timidement sur place pour garder mon corps au chaud. Le parking de l'université, normalement comble, ne comptait que quelques voitures vides et notre bus qui devait nous emmener à destination. Autour de moi, une dizaine de personnes faisaient déjà connaissance, discutant de leurs parcours ou attentes du voyage. Seule étudiante de ma classe, je n'osais pas m'intégrer à certains groupes déjà formés, trop occupés à scruter les horizons. Ma participation à ce voyage n'était en aucun cas éducative ou bien sociale, je savais exactement ce que j'étais venue chercher ici, parfaitement consciente de tout ce que cela pourrait engendrer.

Dans un grincement de pneu, une voiture noir fit son entrée sur le parking. D'un mouvement assuré, elle se fraya un chemin parmi les étudiants avant de se garer à quelques mètres de moi. Evans, accompagné de mon professeur de droit sortit du véhicule, un énorme sac de voyage accroché au bras. La bouche cachée sous une épaisse écharpe grise, le bout de son nez rougit immédiatement au contact du froid.

— Bonjour à tous. nous salua-t-il tout en balayant du regard le groupe d'élèves qui s'était formé devant lui. Comme le bus est déjà là, je vous propose de ranger vos affaires dans l'espace dédié. Nous allons partir dans quelques minutes.

Le bus enfin prêt à nous accueillir, je me dépêchai de monter la première pour sécuriser une place du fond. Une insomnie m'ayant accompagné tout le long de la nuit, je ne voulais qu'une seule chose, dormir en étant bercé par les mouvements de la route. Confortablement installé au fond de mon siège et le front appuyé contre la vitre, j'observais Evans discuter avec le chauffeur. La lumière de la lune, toujours haute dans le ciel, faisait ressortir les quelques cheveux grisonnants qui parsemaient ses mèches brunes. Malgré son visage d'apparence très jeune, tout me rappelait notre différence d'âge si importante. Il était un adulte et moi une jeune femme à la psyché adolscente, perdu dans son passé, son présent et surement son futur. Je me sentais encore adolescente face à lui.

Assis juste la rangée de siège face à moi, une odeur de café vint de nouveau m'enivrer, m'empêchant de même l'oublier les yeux fermés.

— Le bus va bientôt démarrer, je compte sur votre bon comportement pour que ce voyage se passe correctement. Vous tous adultes donc je vous laisserais quartier libre mais en cas de soucis, je vous demande de m'appeler sur mon portable.

Excitée, je notais avec attention le numéro de téléphone d'Evans, me sentant presque privilégiée d'obtenir une information pareille. Une donnée personnelle que je n'aurais pas crue pouvoir obtenir un jour, surtout dans ces conditions.

Après plusieurs heures de trajet, le bus nous emmena enfin au musée tant attendu. Un lieu modeste qui ne convint presque personne, moi comprise. Suivant religieusement le groupe, je n'avais fait que balayer du regard les quelques objets exposés en vitrine durant plusieurs heures. Une visite creuse mais rehaussée par les prises de parole d'Evans, décidé à nous faire apprécier notre moment.

Le soir venu, nous arrivions enfin à l'endroit où nous allions passer la nuit, un petit immeuble en pierre placé à l'entrée d'une forêt. Un bâtiment austère, le lieu de tournage parfait pour un mauvais film d'horreur.

En début de soirée, élèves et professeurs se rejoignirent dans le réfectoire, une pièce aux tons froids qui accentuait l'ambiance plus que morose des lieux. De part et d'autre d'une immense table en plastique usée, tout le monde se jeta avec faim sur la montagne de pizza commandée pour l'occasion. Un mets délicieux mais surtout gratuit qui fit profiter mes pupilles d'un plat normalement trop cher pour mon portefeuille. Le repas terminé, le groupe alla s'installer dans une pièce adjacente, un petit salon beige où étaient installés une multitude de canapés et fauteuils miteux. La pièce, en plus de sa décoration d'un autre temps, était plongée dans le froid, une humidité stagnant dans l'air à cause de l'accès au toit situé à quelques mètres de la. Une ambiance étrange qui n'empêcha pourtant personne de discuter avec joie.

Assise au milieu de la pièce, j'échangeais des banalités avec quelques élèves. Des conversations intéressantes, mais trop peu pour me faire oublier qu'Evans se trouvait à côté de moi. Depuis plusieurs minutes, un groupe d'étudiante était collé à lui, gloussant avec bruit à chacun de ses mots. Une des filles le collait avec insistance, effleurant sa main avec le bout de ses doigts dès qu'elle en avait l'occasion. Une scène qui, en vue du malaise d'Evans plus que palpable, devenait hilarante. Avec fierté, je me remémorais les dizaines de sourires qu'il m'avait déjà offerts, des visages bien plus radieux que le sien actuellement.

Après presque une heure de divertissement tordant où je le voyais reculer pas à pas pour échapper à ce groupe de harpies, il reçut un coup de téléphone qui interrompit leurs échanges. L'appareil à son oreille, il se métamorphosa. Son doux visage, même agacé, exprima une colère sincère, une impression renforcée à la vue de ses poings serrés. Je ne savais pas qu'il y avait au bout du fil, mais cela n'était pas une bonne nouvelle. Une atmosphère de malaise se créa, faisant enfin reculer les harpies à quelques centimètres de lui.

Le téléphone rangé au fond de la poche de son jean, il se dirigea d'un pas rapide vers l'escalier qui menait au toit. Le porte fermé émit un claquement qui résonna dans le salon, faisant cesser les conversations de chacun. Tous regardèrent avec interrogation cette porte close en se demandant, tout comme moi, ce qu'il s'était passé.

Après plusieurs heures, je me retrouvai seule dans ce salon humide et froid. Emmitouflé sous les quelques plaids troués de l'hôtel, j'attendais patiemment son retour, mais en vain. Malgré la fatigue qui me gagnait, je ne pouvais me résoudre à aller dormir. Il était encore sur le toit, je le savais, la porte en face de moi étant la seule sortie possible. Que pouvait-il bien faire seul dehors en pleine nuit d'hiver ?

Une pensée noire me vint directement à l'esprit, me rappelant avec effroi ce visage de colère qu'il avait arboré plus tôt. Cela ne pouvait être ça, mais je devais en avoir le cœur net.

D'un bond, je me levais et courus en direction de cette porte qui nous séparait. Ma main agrippée à la poignée, j'ouvris cet obstacle en métal pour m'engouffrer dans le froid de la nuit.

— Monsieur Evans, vous êtes là ?

Après quelques secondes d'un silence des plus pesant, je vis enfin une silhouette sortir de l'ombre. Evans, vêtu d'un simple manteau malgré la température extérieure, s'avança vers moi, hésitant.

— Elise, qu'est-ce que tu fais là ? chuchota-t-il, le visage rougi par le vent glacé.

Réalisant mon acte, je me raidis, n'étant pas capable d'expliquer mon geste. Comment allais-je pouvoir lui justifier ma venue ?

Aimer pour avancer (Professeur X Élève)Where stories live. Discover now