Chapitre 3

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Les yeux gonflés et cachés par quelques mèches, je marchais d'un pas lent et presque douloureux. Même après trois ans à travailler le samedi matin, mon corps n'était apparemment toujours pas prêt pour ce sacrifice. Sans ce travail, choisir entre me loger ou me nourrir aurait été un dilemme quotidien. Toutes mes dépenses étaient calculées, du café à quelques centimes de la fac aux petits déjeuners qui étaient maintenant occasionnels.

Ma mère m'avait déjà proposé de me laisser revenir habiter à la maison, mais prendre le risque de ne plus pouvoir me nourrir restait tout de même une issue plus supportable pour moi que ça.


Arrivée au café, je rentrai avec assurance dans le bâtiment, bien décidé à chasser toutes ces idées de ma tête. D'un geste de la main, le patron, déjà débordé par les demandes clients, me demanda d'approcher.

— Il faut vite que tu ailles au comptoir Elise, il y a plus de clients que d'habitude aujourd'hui.

Contenant un soupir résigné en vue de la charge de travail qui m'attendait, je ne lui accordais qu'un hochement de tête en guise de réponse.

— Je m'y mets tout de suite alors.

— J'ai engagé un autre étudiant pour t'aider, il devrait arriver d'une seconde à l'autre. C'est un débutant, je compte sur toi pour le former.

Mon tablier vert pomme fermement attaché au tour de la taille, je m'attaquai à cette file d'attente qui n'en finissait pas. Mon rôle ici était d'une simplicité limpide. Je préparais les boissons qu'on me demandait et les servais avec un sourire suffisamment crédible pour faire croire à mon épanouissement. Travailler était finalement moins pénible que je le pensais au début. Un petit calvaire si doux que j'hésitais quelques fois à quitter la fac pour me lancer dans ce travail. Je pouvais m'imaginer sans difficulté dans ce petit cocon aux couleurs automnales. Les canapés en cuir marron disposés un peu partout rendait l'endroit chaleureux, une ambiance qui me rappelait la salle de cinéma de papa et son fauteuil fétiche qu'il chérissait comme la prunelle de ses yeux. Les babioles en bois accrochées aux murs me rappelaient, elles, la cuisine de maman ou les odeurs de gratins flottaient tous les dimanches soir. Une atmosphère que je n'étais apparemment pas la seule à apprécier en vue du nombre d'étudiants qui déferlait ici tous les weekends. Certains venaient à la recherche d'un bel endroit pour travailler alors que ne souhaitait qu'un petit remontant après leurs soirées arrosées de la veille.

Parmi la foule de tête baissée, un regard bleu vint me happer. Approchant presque les deux mètres, plusieurs boucles blondes vinrent encadrer sa peau pâle, soulignant également son regard des plus charmants. D'un pas rapide, il s'approcha de moi, faisant voler sa chemise à fleur rentrée négligemment dans son pantalon.

— Salut, je suis Tom, la nouvelle recrue. Ça va ?

Gênée face à tant d'aplomb, je baissais immédiatement le regard, faisant mine d'être occupée à nettoyer quelques tasses.

— Bonjour Tom. Comme c'est ton premier jour, tu vas rester à côté de moi toute la matinée. Je vais te montrer comment préparer les boissons et le fonctionnement de la caisse.

- Ça marche cheffe.

Malgré son attitude nonchalante, Tom était un élève assidu. Examinant avec beaucoup d'attention le moindre de mes gestes, il ne perdait pas une miette de tous les conseils que je pouvais lui donner. Sentir un regard d'homme posé sur moi était une expérience nouvelle, à la fois perturbante et délicieusement flatteuse. Tom était un beau garçon et le premier depuis bien longtemps à se montrer sympathique à mon égard.

— Tu es en quelle année ? Me questionna-t-il en nettoyant quelques tasses.

— Je viens de rentrer en troisième année de gestion. Ce n'est pas le plus passionnant, mais ça devrait m'ouvrir beaucoup de portes une fois le diplôme en poche. Et toi ?

— Je viens juste de commencer mon master de Droit. Comme toi, ce n'est pas fun, mais je survis.

Les sourcils levés, je le fixais, étonnée.

— Je pensais que tu avais 22 ans comme moi, mais tu dois être plus âgé alors ?

— Exactement, et comme j'ai redoublé l'année dernière, je suis le plus vieux de ma classe avec mes 26 ans.

— Ça ne t'embête pas d'être formé par quelqu'un de plus jeune ?

— Quand on est aussi sympas que toi, ce n'est pas un souci.

Flatté par ses derniers mots, je ne pus trouver de réponse adéquate. Moi qui évitais les hommes comme la peste, je me retrouvais bien sotte à apprécier la compagnie d'un des leurs. Malgré son physique des plus attirant, il semblait simple, comme si jamais personne ne lui avait fait réaliser à quel point il était beau. Il montrait à mon cerveau anxieux qu'une amitié saine pouvait naître n'importe où et n'importe quand.

En pleine réflexion pour rendre ce compliment si sympathique, le tintement de la sonnette d'entrée vint me sauver, m'obligeant à me tourner vers le comptoir client.

Les mains déjà posées sur la caisse, j'écarquillai les yeux en voyant la personne qui se trouvait en face de moi. Monsieur Evans était à un mètre de distance, le regard rivé sur son téléphone portable. L'examinant de long en large, il me fallut tout de même quelques secondes pour le reconnaître, son style vestimentaire ayant changé du tout au tout. Plus aucune trace de veste de smoking et de pantalon cintré, il portait cette fois ci un simple jean bleu et une veste en cuir fermé jusqu'au col.

— Un expresso sans sucre s'il vous plaît. me commanda-t-il sans prendre la peine de poser les yeux sur moi.

M'exécutant avec résignation, je lui tendis sa tasse une fois la préparation terminée. Les yeux enfin levés de son portable, il resta immobile quelques instants, le regard posé sur moi.

— Merci Mademoiselle Simon.

Impassible, il s'en alla silencieusement une fois son argent encaissé. Le scrutant pendant sa sortie de l'établissement, mon poing se serra dans l'instant. J'avais enfin réussi à extraire sa remarque désobligeante de mon esprit qu'il se retrouvait en face de moi, sans gentillesse ni remords.

—Tu vas bien Elise ? Tu es toute crispée. me demanda Tom, le regard inquiet.

— Tout va bien, je suis juste fatiguée. Il est l'heure de toute façon, tu peux ranger tes affaires et partir. Je vais faire pareil.


La porte de mon chez-moi franchit, je fis valdinguer comme à mon habitude mon sac et mes chaussures sur le sol. Malgré le soleil toujours haut dans le ciel, je filai me réfugier sous ma couette pour atténuer le désagréable de cette matinée de travail. Comme à chaque fois que mon regard rencontrait le plafond, mes contrariétés défilèrent au même moment dans mon esprit. Plus les jours passaient, plus un sentiment de vide creusait mon quotidien. Les jours se ressemblaient, ne m'offrant que travail et ennui. J'avais l'impression d'être un personnage secondaire dans une histoire peu intéressante. Une forme inerte qui ne servait qu'à servir la vie d'autrui. À quoi bon faire défiler les jours si on n'attend rien du lendemain ?

Au milieu de ce marécage de pensée noir, un visage prit tout d'un coup plus de place que les autres. Perdu au milieu de mes angoisses et de mes craintes, le regard d'Evans ne voulait pas me quitter. Je ressassai encore et encore ses paroles qui avaient en moi un écho des plus violent. J'étais en colère contre moi-même. En colère qu'un simple inconnu puisse me mettre dans un état pareil. En colère que de simples mots puissent me faire autant de mal. En colère de me laisser submerger à ce point par mes émotions.

Piégée dans cette spirale qui n'avait aucunement l'envie de me lâcher, j'ouvris mon ordinateur pour me plonger dans un film. Si je subissais mon moral, je savais tout de même comment l'influencer. J'allais me sortir de tout ça et construire l'avenir dont j'avais toujours rêvé. Je n'étais pas une faible et encore moins une fainéante. 

Aimer pour avancer (Professeur X Élève)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant