Chapitre 14

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— On se lève tout le monde. Les retardataires n'auront pas de petit déjeuner.

Cette voix, bien que venant du couloir, résonnait pourtant comme à quelques centimètres de mon oreille. Les yeux à peine ouverts, les couleurs grisâtres des murs nus assaillaient mes pupilles irritées. En saisissant mon téléphone à tâtons, je souris à la vue de l'heure qui s'affichait sur mon écran. Il y a moins de trois heures, j'étais avec lui. Mon rythme cardiaque s'intensifia en me remémorant le moindre détail de cette nuit, tout semblait déjà si flou malgré notre échange récent. Je le revoyais poser ses mains sur moi, m'enivrer de cette odeur de café, ressentir cette chaleur si brûlante qu'elle m'en avait fait oublier le froid de l'hiver.

Habillée, je me rendis dans le réfectoire d'un pas lourd, essayant tant bien que mal de lutter contre la fatigue. Malgré cette situation lunaire, une seule et unique question me parcourait actuellement l'esprit, comment aller réagir Monsieur Evans en me voyant ? Arrivée dans la salle commune, je me dirigeai directement vers la machine à café, nerveuse. Ne supportant pas son goût amer, je fis tout de même une exception, étant prête à ingérer toute la caféine possible pour me faire tenir debout. Ma tasse fumante entre les mains, ne pu m'empêcher d'humer cette odeur qui, il y a encore quelques jours, me paraissait insignifiante.

En plein rêve, je sortis de ce dernier lorsqu'une présence apparue à ma droite. Evans était adossé un des nombreux piliers en laiton de la salle, une tasse également à la main. Ses yeux rouges affaiblis par le manque de sommeil était posé sur moi, m'enivrant de ce que vert émeraude qui étaient devenus une véritable drogue. .

— Je suis désolé, je viens de terminer le café. Je suis très fatigué, j'en avais cruellement besoin.

Un sourire discret se dessina au cœur de sa barbe naissante.

— Je n'aurais pas dit non à une tasse supplémentaire, mais si c'est toi je te pardonne. répondit-il d'une voix enrouée après m'avoir adressé un clin d'œil.

Sur ces paroles des plus discrètes, il partit d'un pas assuré. De l'extérieur, notre échange était banal, comme aurait pu le faire un simple professeur avec son élève, une vision qui ne représentait absolument plus la réalité. Je n'étais pas capable de dire s'il l'avait réalisé, mais depuis hier, il était devenu la personne au centre de ma vie.

Le petit-déjeuner terminé, le bâtiment se vida en quelques instants, notre groupe se déplaçant en direction du bus. Mes baskets foulant les gravillons de l'allée extérieure, je stoppais mes pas pour poser un dernier regard sur le toit de la bâtisse. D'en bas, l'endroit semblait terne, dénué de tout charme à cause de ses rambardes de sécurité orange. Pour autant, un frisson me parcourut quand mes yeux se posèrent à l'endroit exact ou nous étions assis. Je voulais chérir ces souvenirs toute ma vie, me rappeler du moment exact où j'étais tombé amoureuse de lui.

Le dos enfoncé dans le même siège qu'à l'aller, j'observais Evans du coin de l'œil alors qu'il s'asseyait à son tour. Mon cœur, toujours sous le joug de cette intimité partagée, ne devait pas me faire oublier la réalité des choses. Il était un homme bon qui voulait m'aider par gentillesse et non par amour. Il était mon professeur, et ça, je ne devais pas l'oublier.

Malgré mes sentiments qui ne faisaient que croître, les semaines se déroulaient dans une indifférence presque insoutenable. Evans agissait comme à son habitude, parfait dans son rôle de professeur à la fois stricte et exemplaire. Une attitude qui n'aurait pas dû m'alerter s' il ne faisait également pas exprès de m'ignorer volontairement. Avec détermination, j'essayais de le voir après les cours, de discuter lors de ses passages au café, de participer davantage en cours pour grappiller quelques miettes d'attention. Des actions inutiles, la fuite étant devenue sa réponse à toute interaction avec moi. Plus j'avançais, plus il reculait. Au fil des jours, tous mes fantasmes partaient en fumée, me bloquant dans ma situation initiale, la solitude.

Allongé sur mon lit, j'éreintai comme chaque soir mon pauvre cerveau à force de réflexions tordues. Imaginer tous les scénarios possibles ou je pouvais lui adresser la parole devenait presque une obsession. Son ignorance ne devenait plus supportable et j'étais décidé à y mettre un terme. Cet homme à qui j'avais confié mes peurs, mes angoisses et mes cauchemars ne pouvaient disparaître de la sorte. Et si mes approches en publiques étaient désormais proscrites, alors j'utiliserais toutes mes ressources en mains pour contourner ses craintes.

D'une humeur guerrière, je saisis mon téléphone et tapai son numéro soigneusement gardé tout ce temps.

Bonjour Monsieur, c'est Elise, j'espère que vous allez bien. J'ai beaucoup pensé à votre mère ces derniers jours, est-ce que vous avez pu avoir de ses nouvelles ? J'espère qu'elle va bien.

Des tremblements parcourant mes mains, je jetai mon téléphone sur le lit comme pour m'éloigner de cette audace dont je venais de faire preuve. En temps normal, jamais je n'aurais jamais osé une telle intrusion, mais dans mon cas, au-delà d'être un acte désespéré, il était presque vital.

Alors que beaucoup trop d'informations se bousculaient dans ma tête, je sentis mon téléphone vibrer. Je saisis immédiatement l'objet et restais bloqué quelques secondes devant la réponse d'Evans.

Bonjour Elise, je vais bien et j'espère que toi aussi. C'est gentil de prendre de ses nouvelles. Elle va bien, heureusement. Elle est encore chez son amie et se repose. Et toi, as-tu eu des nouvelles de ta mère ? J'espère que ce n'est pas trop compliqué à gérer.

Je relus encore et encore son message, un sourire des plus intenses dessiné sur le visage. Après des semaines d'ignorance, il m'avait enfin donné un signe de vie. Une réponse qui me fit papillonner le ventre, tant mon excitation était intense.

Cette prise de nouvelle devint vite une habitude entre nous, si bien que toutes les semaines, nous parlions quelques fois ensemble le temps de quelques SMS. Nous échangions, comme à notre habitude, tous les sujets possibles et inimaginables. Il avait beau m'ignorer en classe, par message, il se montrait enfin tel que je l'avais découvert, doux et chaleureux. Un paradoxe des plus étrange qui ne trouvait pas d'explication pour moi. Pourquoi ne voulait-il pas me parler en public ?

Juin arriva à une vitesse folle, entraînant dans sa course le soleil qui réchauffait les coeurs mais surtout les corps. Grâce à mes progrès plus que notables en anglais, j'avais pu valider mon année avec une simplicité déconcertante. La fin de l'année scolaire était donc officiellement annoncée, une période de fête pour professeur et élève, mais pas pour moi. N'ayant aucun argent de côté, je continuais de travailler au café en compagnie de Tom, ne pouvant espérer la moindre forme de vacances. Une période riche en travail qui sonnait également la fin de mes cours avec Evans. N'apparaissant même plus au café le samedi, son visage me manquait à en devenir folle. Mon corps le réclamait, ne pouvant déjà plus se passer de sa nouvelle drogue. J'enchaînais les rêves suggestifs ou ses doigts caressaient ma peau avec délicatesse alors que sa bouche me faisait découvrir la notion de plaisir. Mes cauchemars avaient disparu pour laisser place à des rêves ou son corps me faisait l'amour pendant que ses lèvres me susurraient qu'elles m'aimaient.  

Aimer pour avancer (Professeur X Élève)Where stories live. Discover now