Chapitre 5

9.5K 371 35
                                    


Les mains tremblantes, la photo glissa de mes doigts pour atterrir sur le sol. Figé, je scrutai sa course, incapable de me mouvoir. Des flashs de Carl apparurent dans mon esprit sans possibilité de les faire taire, faisant grandir une nausée au creux de mon estomac. Il fallait que je sorte, que j'oxygène mes poumons qui avaient le sentiment de manquer d'air.

D'un pas tremblant, je dévalais les marches de mon escalier, manquant de tomber à plusieurs reprises. Mes poumons, toujours compressés par ces souvenirs douloureux, ne purent se gonfler malgré l'air frais de la nuit. Un poids venait de se loger sur mes pauvres épaules, comme si toutes mes blessures passées avaient repris vie. Je ne voulais pas rentrer et me renfermer avec cette photo qui venait de salir les lieux. Passer la nuit dehors était devenu plus tolérable que de revoir son visage, même imprimé sur du papier.

Me guidant grâce au halo de lumière qui traversait les feuilles, je cherchais du regard ce banc qui m'attendait. Soulagée de voir enfin le but de ma marche, je stoppai pourtant mes pas à quelques mètres de lui. Une forme noire grandit dans la pénombre, se détachant du banc pour emprunter mon chemin. Le bruit des feuilles craqua sous le pied de cette masse sombre, me faisant comprendre qu'il se rapprochait de moi. Il était rare de voir du passage même en plein jour, alors pourquoi maintenant ?

— Mademoiselle Simon ?

Les pieds ancrés dans le sol, je maintenais mon regard en direction de cette voix qui semblait aussi craintive que moi.

— Qui est là ?

— Pardon, je ne voulais pas vous faire peur.

La lumière du lampadaire à sa hauteur, je pu enfin mettre un nom sur cette silhouette désormais perceptible.

— Monsieur Evans, qu'est-ce que vous faites là ?

Vêtu d'un lourd manteau molletonné, un souffle blanc s'expulsa de sa bouche en même temps qu'un petit rire discret. Dépassant de ses manches marron, ses doigts rougis par le froid tenaient fermement un livre en piteux état.

— Je viens souvent lire le soir quand je n'arrive pas à dormir, mais c'est bien la première fois que je croise quelqu'un aussi tard.

Les joues rosies, son regard avait du mal à soutenir le mien, comme gêné à l'idée de devoir se justifier.

— Mais vous, qu'est-ce que vous faites là à une heure pareille ?

— Je voulais juste me promener avant de dormir.

— Je m'apprêtais à partir de toute façon, je vais y aller.

— D'accord.

Rangeant ses affaires éparpillées sur le banc avec vitesse, il stoppa ses mouvements à l'écoute de la sonnerie de mon téléphone. Cette dernière résonna si fort dans la calme du parc que ni lui, ni moi, ne pouvions l'ignorer.

Me voyant immobile malgré le bruit, il m'adressa un léger sourire.

— Allez-y, vous pouvez décrocher, je pars.

Sans prendre la peine de regarder l'identité de mon interlocuteur, je collai l'appareil à mon oreille pour faire cesser le vacarme.

—Tu décroches enfin, ce n'est pas trop tôt. Je dois te courir après pour avoir de tes nouvelles, tu devrais avoir honte.

Ma mâchoire se contracta à l'écoute de cette voix stridente et débordante de colère.

— J'essaye de faire des efforts et toi, tu ignores ta propre mère, celle qui ta mise au monde, tu te rends compte ? Tu ne comprends pas l'enfer que je vis tous les jours à cause de toi, tout est ta faute.

Une larme brûlante vint creuser un sillon sur ma joue glacé par la nuit. Sanglotant avec discrétion, je mordais mes lèvres avec violence pour contenir toute cette douleur qui montait de mon estomac jusqu'à ma gorge. J'allais craquer, mais je voulais juste attendre qu'il soit loin avant de sombrer rage.

— Tu ne te rends pas compte à quel point je suis en colère contre toi. Et je ne te parle pas de Carl, lui aussi est tellement déçu de ton comportement.

La simple écoute de son prénom me foudroya le cœur. Nauséeuse et le visage trempé, je lui raccrochais au nez avant de me mettre à crier.

— Mais va te faire foutre putain !

Avec lourdeur, je m'écroulai sur le sol tandis que l'écho de mon cri résonna à travers les branches. Les cuisses collées sur le sol, j'enroulai ma tête en direction de mon torse avec l'espoir de disparaître.

— Qu'est-ce qui se passe ?

Les mains d'Evans posées sur mes joues humides, il redressa mon visage dans sa direction, me laissant apercevoir pour la première fois le vert de ses yeux.

— Dites-moi ce qu'il se passe. m'ordonna-t-il d'un ton sec.

L'inquiétude pouvait se lire sans difficulté dans ses pupilles, le battement bruyant de son cœur renforçant mon analyse. Pourtant, d'un geste brusque, j'enlevais ses mains de mes joues avant de me relever d'un bond.

— Il faut que j'y aille.

Mes paumes me couvrant mon visage, j'essayais de cacher l'état misérable de ce dernier. Je refusais que quelqu'un puisse être témoin de mes pleurs.

D'un élan désespéré, je commençais une course effrénée dans une direction inconnue. Malgré ses appels insistants, je finis par ne plus entendre le son de sa voix après quelques secondes de sprint. Je devais partir, être seul. M'enfermer chez moi et prier pour que tout ça ne soit qu'un mauvais rêve. Je voulais disparaître.

Aimer pour avancer (Professeur X Élève)Where stories live. Discover now