Chapitre 28

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 Immobile devant la porte d'entrée, je fixais avec obsession la balançoire laissée à l'abandon dans le jardin. La rouille avait gagné les pieds alors qu'un des sièges était sur le point de faillir. Enfant, c'était l'endroit de la maison que je préférais, celui ou je me sentais le plus en sécurité. Sous cet arbre, à me balancer sans cesse, je pouvais oublier tout ce qui me causait du chagrin. L'école, le caractère souvent difficile de maman, l'absence de papa, tout disparaissait. Un sentiment de mélancolie gagna mon esprit. Comment ma vie d'enfant avait pu se transformer de la sorte ?

Je revins vite à la réalité quand la porte d'entrée s'ouvrit brusquement.

— Bonjour Elise. On t'attendait avec Carl, entre.

Le visage fermé, elle se tenait devant moi, stoïque. Malgré plusieurs années sans contacts, aucune once d'affection n'apparu sur son visage quand elle me vit.

Timidement, j'entrais dans cette maison qui m'avait vu grandir. Le même mobilier, la même odeur d'humidité, les mêmes photos disposés sur cheminée. Tout était identique.

— Bonjour Elise, bienvenue.

Une fois levée du canapé, Carl vint dans ma direction, un sourire aux lèvres. À ma hauteur, il me tendit une main que j'ignorai immédiatement.

— Cinq minutes que tu es là et tu ne lui dis même pas bonjour. Si c'était pour nous manquer de respect comme ça, tu aurais mieux fait de ne pas venir.

La voix de maman était sèche, me rappelant immédiatement plusieurs souvenirs douloureux. Mais malgré ça, je ne regrettais en aucun cas mon geste. Je ne devais plus la laisser avoir l'ascendant sur moi, c'était terminé.

— Calme-toi maman, s'il te plait. Vient, on va s'asseoir toutes les deux dans la cuisine pour discuter.

— Et Carl alors ? Pourquoi tu l'ignores ? Il n'a pas le droit de venir lui ?

Mon poing et ma mâchoire se contractèrent immédiatement tant la colère gagnait mon estomac. Je m'étais promis de ne pas craquer mais entendre son prénom sans cesse allait me rendre folle.

— Maman s'il te plait. Je suis venu te voir toi, c'est tout.

— Pourquoi est-ce qu'il faut que tout soit toujours compliqué avec toi ? On était heureux avant, on était une vraie famille. Pourquoi tu as tout gâché ?

Sidérée, aucunes larmes ne pu s'extraire de mes yeux malgré la tristesse. Je pensais naïvement que mon absence aurait changé quelque chose, qu'une simple discussion entre adultes aurait pu être la solution.

— Ne m'oblige pas à le voir, tu sais très bien ce qu'il a fait.

Le ricanement de Carl vint me heurter, m'obligeant à fermer les yeux pour contenir ma rage.

— Arrête un peu cette comédie. Ta mère sait très bien que ce n'est qu'un mensonge. Il serait temps d'arrêter ce manège ridicule.

Un tremblement gagna mes jambes. Je voulais fuir mais son regard de vipère semblait avoir annihilé tout mon courage. Il voulait m'intimider, me faire perdre ce combat qu'il avait jusqu'à présent gagné.

— Maman, je vais te le dire une dernière fois, alors écoute bien. Quelques jours après mes 18 ans, tu avais une réunion au bureau et tu es rentrée tard. Ce même soir, Carl est rentré avant toi, complètement saoul. Il est venu dans ma chambre et m'a jeté sur mon lit. J'ai essayé de me débattre, mais il a commencé à me toucher.

Carl me saisit le bras avec force, me poussant contre le mur. La paume de sa main me compressa le poignet, tordant ma chair avec violence.

— Tu es une menteuse, arrête de dire n'importe quoi !

— Il n'arrêtait pas de dire que ce serait notre petit secret, que je ne devrais le dire à personne.

J'hurlais de douleur tant mon poignet était malmené. J'avais beau essayer de le repousser, son corps répugnant ne faisait que me pousser en direction du mur.

— Maman, il a essayé de me violer putain !

— Arrête !

À peine eu je le temps de terminer ma phrase qu'une main frêle, recouverte de bagues, me saisit la joue avec une baffe des plus vives. Plaqué contre le mur par Carl, je vis ma mère, les yeux trempés, sa main encore rouge à cause de l'impact

— Arrête avec ça, arrête de mentir.

Partagé entre la douleur de ma joue et de mon poignet, je poussai Carl une ultime fois pour me dégager de son étreinte. Essoufflée, je reculais en direction de la porte d'entrée, caressant mon poignet meurtris.

— J'ai les réponses à mes questions alors je vais m'en aller maintenant. Adieu.

Les yeux rougis par la colère, je me dirigeais vers la porte d'entrée. Dans un monde juste, j'aurais hurlé au monde entier à quel point cette famille était une erreur de la nature, mais seul le silence de ma peine m'accompagna jusqu'à la sortie.

Evans, garé devant le portail, sortit de sa voiture à ma vue.

— Tu es déjà là ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Chamboulée, je ne répondis pas à sa question, pressée d'oublier ce moment digne d'une scène de torture.

— On rentre ? J'ai envie de regarder un film ce soir. Tu as des idées ?

Il me saisit le poignet avec tendresse, me provoquant tout de même une douleur aiguë. Un petit cri sortit de ma gorge, le faisant scruter mon avant-bras recouvert de bleu.

— Qui t'a fait ça ? Est-ce que c'est lui ?

Je m'engouffrais dans ses bras, humant son odeur qu'il avait le pouvoir de calmer le moindre de mes maux.

— Je pensais pouvoir tout arranger, retrouver un semblant de famille. Je ne pensais pas finir aussi seule.

— Tu ne seras plus jamais seule, je te le promets.

Après quelques mots échangés avec Evans, j'espérais de tout cœur que ma mère vienne en pleurs me demander de la pardonner, mais elle ne fit rien. Cette porte que j'avais fermée resta close, le signe d'une fin irréversible. J'étais venu annoncer à ma mère que je partais vivre mon rêve sur Paris, j'étais reparti le cœur brisé, sans famille pour m'épauler.


Blottis tous les deux sur son canapé, Evans avait été une oreille des plus attentive. Avec effroi et rage, il avait écouté le déroulement de la scène. Malgré sa colère plus qu'évidente, il ne me proposa que douceur et réconfort. Pour lui, c'était une certitude, j'avais fait preuve d'un courage sans nom.

— Tu sais, j'ai un aveu égoïste à te faire. J'ai cherché toutes les facs sur Paris, et il y en a beaucoup. Je me disais que peut-être qu'enseigner à Paris pourrait te plaire. lui murmurais-je, engouffré dans ses bras.

Sa tête posée sur la mienne, il me tapota délicatement le nez à l'aide d'un de ses doigts.

— Si je dois t'avouer quelque chose, moi aussi j'ai déjà fait mes recherches dans mon coin.

Je me relevais d'un bon, le cognant au passage.

—C'est vrai ? Alors ça voudrait dire que tu pourrais venir sur Paris ?

— Malheureusement, c'est plus compliqué que ça. Les écoles ont des places limitées et elles ne recrutent qu'en fonction de ces dernières. Si aucune place ne se libère, alors impossible pour moi de postuler.

Mon sentiment de joie s'estompa aussi rapidement qu'arrivé.

— Et il n'y a pas de place de disponible, c'est ça ?

— Malheureusement non. Il y a bien une fac qui serait en demande, mais d'après une de mes connaissances déjà sur place, le poste aurait déjà été promis à quelqu'un. J'ai quand même envoyé ma candidature, mais il ne faut pas compter dessus.

Inerte, je n'arrivais pas à simuler un bonheur inexistant. Mon appartement sur Paris avait déjà été trouvé et le déménagement final était prévu dans maintenant moins d'un mois. Je voulais à tout prix savourer ces derniers instants avec lui avant de tout perdre. Même si nous pouvions nous revoir, je savais très bien que rien ne serait plus comme avant.

Aimer pour avancer (Professeur X Élève)Wo Geschichten leben. Entdecke jetzt