E1 | DÉFI N-7 ● Mention Spéciale { 2 }●

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Le texte de Shad_Eau est une petite pièce de théâtre ! Très jolie et très noire, comme toutes ses pièces de théâtre :p 


*** 

FEMME : Mes paupières se ferment. Ma voix s'éveille. Et ma chair s'étend là, maigres veines battant contre des os oppressés. C'est elle qui goûte au rouge, alors que le soleil se bat pour exercer son empire dérisoire sur un ciel saigné. À défaut de briller sur le ciel, je sais qu'il frappe la mer ridée autant qu'il mord ma peau chaude. Les vagues s'entrechoquent, le bruit fracasse mes oreilles. Mes sens me dévorent.

CADAVRE : Écoute ma voix. Je brave la cape de velours du soir naissant et je m'étends devant toi, tout de laideur, pour hanter tes yeux qui se cachent sous tes paupières.

FEMME, paisible : Qui es-tu ? J'ai les yeux fermés.

CADAVRE : Un cadavre.

FEMME, détache ses mots : Oui, je sais, mais qui es-tu vraiment ? Serais-tu le corps de la Tristesse que j'ai écartelée ? Le souvenir de ma mère enterrée, noyé sous une trombe de sourires hypocrites ? Serais-tu le cadavre de la mort ? Qui es-tu ?

CADAVRE : Je suis un cadavre.

FEMME : Je ne crois pas à la mort. Laisse-la m'oublier. (Elle fait une pause et reprend calmement.) Ce n'est pas moi qui oublie la mort.

CADAVRE : Je suis devant toi pourtant...

FEMME : Je ne connais pas la mort. Elle rôde autre part, je recrache ses griffes. J'en vomis l'obscurité pour écorcher les cauchemars d'une brutalité ambiante. Non, je ne connais pas la mort.

Souvenirs. Devant moi des visages aux joues creusées, les entrailles en balade, le gris qui monte jusque sur leurs joues glacées. Pas de souffle. Le mien résonne dans la douce ombre d'une chambre de quiétude. Je la vois, je veux la toucher. Ce n'est pas elle, n'est-ce pas ? Maman. Je ne pense qu'à la toucher, mais les adultes en noir m'entourent et je crains leurs regards. Des yeux sur moi, débordants de larmes, des perles translucides à les étouffer et à heurter de rouge leurs yeux bouffis, peut-être verraient-ils alors que je ne pleure pas, à travers leur flou ; mon calme monte.

Oups. Toujours pas de larmes. Je me sens coupable. Est-ce que je l'aimais si je ne la pleure pas ? Est-ce que j'aimais celle qui cultivait mes sourires et qui m'offrait le monde, des heures durant, pour alimenter ma soif insatiable ?

Me savoir si vide fracasse alors mes pensées. Plutôt que dédier cet instant à la défunte, je le donne à mon incompréhension croissante. Pourquoi ne pleure-je pas ? La question m'étouffe. Je me concentre pour dégouliner sur mes joues molles une peine feinte. Me prouver que j'en suis capable. Une honte brute s'insinue en moi.

Vite, vite, fuir mon absence de larmes. Jeter la curiosité qui ronge mes pensées jusqu'à m'engloutir de culpabilité. « Tu es peut-être trop jeune pour te confronter à son corps... ». Je veux m'approcher. Un désir sourd qui a noyé toute émotion, une envie malsaine d'un savoir malvenu. Le premier cadavre de ma vie, je souhaite le graver dans ma mémoire comme un chef d'œuvre. Maman gît devant moi et je ne rêve plus que de saisir sa peau glacée pour découvrir le mystère de sa mollesse.

La mort s'éloigne de moi, elle m'oublie. Allongée là, Maman n'est qu'un objet vide.

CADAVRE : Puis tu as grandi – sans que ta mère ne t'accompagne. Maintenant, tu refuses de me voir devant toi. J'existe, pourtant ! Ouvre les yeux. Tu me verras.

Recueil de Textes {Livre Annexe du Recueil de Défis}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant