E1 | Défi N-3 ● Coup de Coeur ●

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 Vu que le texte est assez long, je vous laisse avec des extraits du rendu appartenant à la talentueuse (encore) -clepsydre-, sous forme de lettre écrite par la sœur de Belle.

Bonne lecture ! 

***** 

  Belle,

  Alors que ma plume frotte à peine le rugueux parchemin, alors je saigne enfin de ces mots qui sont si longtemps demeurés cloisonnés dans mon cœur, je me révulse déjà de ce sourire compatissant s'ébauchant sur tes lèvres. À cette claire et brusque déclaration d'antipathie, je devine tes sourcils se froncer, avec la délicatesse d'une poupée de porcelaine, j'anticipe tes mains se serrer autour du manuscrit, j'esquisse ta moue contrariée de reine indignée. Avant de continuer ta lecture, je te prierais de te débarrasser de tes oripeaux de vertu, ceux-là même qui t'ont dessiné ce prodigieux destin qu'a été le tien.

  Après toutes ces années coincées dans le corps d'une statue, par la malédiction de cette fée qui pour châtiment ultime m'a condamnée à toiser ton bonheur, petite sœur, la pierre a finalement eu raison de mon cœur. Tant de querelles n'auraient-elles pas, de la même manière, eu raison de nos langues de bois ? Avant de basculer dans l'oubli de la haine, partageons ces premières et héla dernières confessions à bâtons rompues. Une simple lettre ne remplacera jamais une vie brisée. Aurais-je naïvement cru que le doute en recollerait les morceaux ? À mon tour, ne me transformerais-je pas en cet ingrat modèle de bonté que tu es devenue ? Qu'elle est bien fade, ton existence, désormais ! La mienne gronde encore comme le tonnerre, elle tempête contre l'écume des nuages et rivalise avec la lave des volcans de l'enfer.

  Lorsque j'y repense, poussée par l'envie malsaine de noircir ce papier, tout avait bien commencé. Aînée de deux parents aimants, j'étais née au creux d'une rayonnante bourgeoisie. Notre ville, que dis-je ? le monde s'offrait à moi. Je n'avais qu'à étendre les bras pour l'embrasser, je n'aurais eu qu'à voltiger sous le vent du destin pour le saisir. Avec l'ambition galopante qui me portait au-devant des évènements, avec la soif d'aventure qui m'étreignait la gorge lorsque je posais le pied dehors, j'étais promise à accomplir de grandes choses. Avec mes grands yeux bleus, mes mains potelées et mes cheveux frisés, j'étais un beau bébé, le plus beau qu'on eût pu voir. J'étais la première. J'étais fière.

  La vie n'est pas un conte de fées, Belle.

  Retiens-le. Fais confiance à ta grande sœur. Tu as tendance à l'oublier.

   [...] 

  Dans mon malheur, je reconnaissais cependant au ciel la clémence de m'avoir fait naître bourgeoise. Au milieu de mes semblables, je sortais la tête hors des remous de l'infortune. J'ai eu de la chance d'être éduquée, j'ai eu de la chance de me distinguer par ma condition. On me faisait briller avec de jolies robes, on recouvrait mes mains fines de dentelles, on brodait mes cheveux de paille de fils d'or. Et ces dorures d'attention comblaient mon cœur en même temps qu'elles le pétrifiaient.

  Plus, toujours plus. Cette robe n'était pas assez belle pour déployer mes charmes. Ces diamants n'étaient pas assez purs pour s'assortir à mon regard. Affamée par le nombre de ma famille, je cherchais à tout prix à m'extraire de ce carcan étriquée. Enfant, l'ambition me rongeait déjà tout entière.

  Elle m'a tenue en vie pendant toutes ces années.

  N'y renonce pas, Belle.

  L'ambition diabolisée n'est que l'ange déchu de l'espoir.

  J'ignorais alors que j'allais bientôt tout perdre, que mon monde allait s'écrouler sous les

coups du destin.

Recueil de Textes {Livre Annexe du Recueil de Défis}حيث تعيش القصص. اكتشف الآن