Chapitre II - Aïmar

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Village des Hautes-Forges,

Contrée Libre

Les premières lumières du jour arrivèrent de derrière la colline des Ateliers. En été, elles apparaissaient encore plus tôt que le reste de l'année. Aïmar n'avait pas posé de volets ; il ne supportait pas l'obscurité totale. Alors, il se réveillait toujours instinctivement ou avec la lumière naturelle, entre deux et trois heures avant d'aller travailler. Se lever si tôt ne le dérangeait nullement ; cette habitude était encrée en lui depuis tout petit, lorsqu'il vivait encore à Brinadean. Il n'avait de toute manière pas besoin d'un long sommeil.

Pour les ouvriers du village des Hautes-Forges qui aimaient, pour la plupart, paresser le matin, cette habitude était qualifiée d'« anormale » pour un homme comme lui, versé dans un quotidien manuel et éprouvant. Aïmar mettait cela sur le compte de ses dix-neuf printemps, justifiant qu'il était jeune et que son habitude disparaîtrait en vieillissant. Mais au fond, il espérait bien garder sa routine matinale pendant encore longtemps.

Il s'étira longuement, se leva et s'habilla. Son habituelle tenue de travail était simple : un pantalon bouffant dont la ceinture de cuir commençait à être vraiment usée par les frottements, un tee-shirt ou débardeur aléatoire et des bottines de cuir solides. Il aimait être simple et libre de ses mouvements lorsqu'il travaillait. Par temps froid, il rajoutait généralement un pull ou un épais gilet en laine pour l'extérieur, mais l'enlevait rapidement une fois aux forges.

Dans la cuisine, il raviva les braises du fourneau avant de s'emparer de deux sceaux vides et de sortir de la maison. En descendant le chemin, le vent marin venu de Miewart, plus frais que d'habitude, le surprit. L'automne était quasiment installé.

Malgré la rivière qui traversait le village, peu de foyer avait accès à l'eau courante. En dehors des villes, les installations étaient chères et réservées aux riches et aux politiciens. La Contrée Libre était un territoire peu moderne, encore plongé dans une ère médiévale, et peinait à se développer. Seule Miewart, la ville côtière, était relativement bien équipée. Pour le reste, il fallait encore aller puiser manuellement l'eau que l'on désirait dans le lit de la rivière. Même les Ateliers ne possédaient pas d'eau courante, ce qui contraignaient les artisans, forcés d'utiliser un vieux système d'irrigation manuel qui permettait de pomper l'eau au pied de la colline. Un outil capricieux, presque autant que la locomotive, qui fonctionnait rarement et obligeait trop souvent les pauvres hommes à aller chercher eux-mêmes de l'eau à la force de leurs jambes et de leurs bras. Aïmar avait d'ailleurs gagné plus de muscles en les aidant à porter les baquets d'eau qu'en forgeant au fil des ans.

Arrivé au bord de la rivière, il y plongea un par un ses sceaux pour les remplir avant de revenir sur ses pas. Chez lui, il les vida dans un réservoir près de la cuisine, prit un verre dans un placard et le remplit pour le boire d'une seule traite. L'eau était fraîche, pure et aidait à atténuer la chaleur due à l'effort. Elle venait des sources volcaniques du sud de la Contrée Libre et terminait sa course dans la baie de Miewart, au nord. Peu rafraîchit, il but un second verre avant de s'attaquer au petit déjeuner, composé d'œufs, de fromage et de pain. Il faudrait qu'il fasse quelques courses prochainement.

Après cela, il se brossa les dents puis passa rapidement une main dans ses cheveux désordonnés pour tenter de les remettre à peu près en place. Il s'était lavé la veille au soir ; pas besoin de refaire sa toilette complète ce matin.

Une fois prêt, il prépara une petite assiette dans laquelle il émietta un restant de pain dur préalablement imbibé d'eau. Il l'emporta ensuite sur la terrasse en prenant au passage l'une des flûtes accrochées sur leur support dans la chambre : la plus petite, celle qu'il avait terminé de tailler dans une branche tendre quelques semaines auparavant.

Lumarave I [Fantasy]Where stories live. Discover now