Chapitre XVIII - Joon

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Ateliers des Hautes-Forges,

Contrée Libre

Oonagh observait, attentive, l'ouvrage que reproduisait Joon sans émettre un seul mot. Son silence turlupinait le garçon, si bien qu'il commençait sérieusement à se demander s'il ne faisait pas n'importe quoi. Le motif géométrique qu'il gravait dans ce cuir n'était-il pas trop difforme ? Pas assez grand ? Ses gravures n'étaient-elles pas trop rudes par endroits ? Toutes ces incertitudes lui retournaient le ventre et il fournissait des efforts colossaux pour les contenir. C'était difficile de le faire, presque plus que d'apprendre le métier. Il n'était pas d'un naturel très patient et cela l'avait agacé la première fois qu'Oonagh lui avait présenter une plaque de métal pour s'exercer aux gravures. Il avait pensé directement commencer à orner la garde d'une ancienne dague de précieuses pierres, et découvrir l'alchimie pour obtenir l'alliance de couleurs parfaite afin de teindre la reliure d'ouvrages religieux. Il avait déchanté en comprenant qu'il lui faudrait bien plus de temps d'apprentissage qu'il n'avait pensé avant qu'on ne lui confie la moindre pièce à fabriquer ou à restaurer. Alors il s'était résigné et faisait depuis de son mieux pour ne pas décevoir les attentes du contremaitre. Parfois, il se mordillait la lèvre, persuadé d'avoir fait un mauvais mouvement. Mais Oonagh restait imperturbable.

Lorsqu'enfin il pensa son œuvre terminé, il tendit d'une main tremblante le morceau de cuir à la maître-orfèvre, qui mit de longues minutes à le juger en l'observant à la lueur de l'halo lumineux d'une lampe posée sur un bureau non loin.

— Alors ? demanda Joon en se tordant nerveusement les doigts.

L'inquiétude fit vriller sa voix. Honteux, il se mordit la lèvre en se traitant intérieurement d'idiot, de naïf et même « d'imbécile ignorant tout de la vie ». Il se détesta d'être ainsi.

— C'est bien, dit simplement Oonagh.

Joon paniqua, son expression faciale se décomposa, persuadé d'avoir mal fait, de n'avoir aucun talent. Après tout, il n'avait jamais utilisé ses mains pour ce genre de tâches. Il n'avait même jamais travaillé. Peut-être n'était-il pas fait pour cela. Peut-être que...

— Ne fais pas cette tête, c'est vraiment bien, assura-t-elle. Ce cuir n'est pas facile à travailler.

— Je vois bien que le motif n'est pas aussi réussi que le modèle...

— Parce qu'il faut que tu apprennes à affiner tes techniques. Sans expérience, tu ne peux pas produire un résultat parfait dès le début, tu sais.

Joon soupira en reprenant le cuir. Il passa lentement le bout de ses doigts sur les gravures comme pour en dessiner le moindre détail sur sa peau.

— Avant, reprit-il d'une petite voix, on m'apprenait à devenir parfait.

— On ne te demandera jamais de l'être ici, seulement d'être toi-même. Suis ton instinct, c'est lui que tu dois écouter.

Joon releva les yeux vers elle. Elle était belle, cette femme, avec ses cheveux courts et sa grande taille. Elle contrastait avec les codes sociétaires de cette époque. Même son statut était inédit. Il était encore trop rare de voir une femme exercer un métier d'hommes. Elle en avait bavé pour y accéder. C'étaient son caractère affirmé et sa détermination qui lui avaient permis de se hisser à la plus haute place de son domaine. Joon se sentait bien près d'elle. Il voyait en cette femme la mère aimante qu'il n'avait jamais eue. Elle le mettait à l'aise et l'apaisait.

— Merci de croire en moi, dit-il enfin.

Oonagh sourit en rangeant certains outils pour en sortir d'autres de différents tiroirs d'une petite étagère. Elle fouilla ensuite dans un tas de morceaux de cuir, les détailla puis finalement se tourna vers une petite planche de bois qu'elle prit pour le poser devant son nouvel apprenti.

Lumarave I [Fantasy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant