Chapitre XXIII - Joon

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Village des Hautes-Forges,

Contrée Libre

Perdu dans ses pensées, Joon sursauta en entendant la porte d'entrée claquer. Pris d'une panique soudaine, il se posta devant la bibliothèque de l'étage, fit semblant d'y chercher un livre à lire, en tira un au hasard et se mit à le feuilleter. Il craignait qu'Aïmar ne vienne le sermonner de les avoir espionnés car il n'y avait aucun doute possible que l'eledarse ait été entendu lors de sa fuite. Les pages défilèrent devant ses yeux sans que Joon ne les voie vraiment, son cœur battant trop fort et son ouïe attendant d'entendre le craquement sec du bois des escaliers sous les pas de son ami.

Mais Aïmar ne vint pas. A la place, Joon entendit le fourneau de la cuisine crépiter puis le bruit de l'eau que l'on verse dans un récipient métallique. Une poignée de minutes plus tard, la porte de la salle de bain se ferma, replongeant la maison dans un silence quasi complet à nouveau. Joon soupira de soulagement avant de se rendre compte à quel point son comportement était ridicule. Pourquoi Aïmar s'en serait-il pris à Joon sous seul prétexte qu'il était inquiet de son retard ? Certes, peut-être à cause de sa curiosité aussi, mais était-ce si grave ? N'importe qui aurait réagi pareil, non ?

Joon revit devant lui les évènements de là-bas. Pourquoi avait-il l'étrange sentiment d'avoir vu quelque chose qu'il n'aurait jamais dû connaître ce soir-là ? Quelque chose de pas commun ? Quelque chose ... d'extraordinaire ?

La porte se rouvrit au rez-de-chaussée, relançant ainsi le rythme fou du cœur de Joon. Des bruits de couverts et d'assiettes empruntés dans le placard suspendu au-dessus de l'évier avant d'être posés sur la table du salon. Non, Aïmar n'avait pas prévu de s'en prendre à lui. Décidément, il devenait paranoïaque.

Joon reposa le livre à sa place et, d'un pas hésitant et un peu honteux, descendit les marches. Aïmar leva les yeux vers lui, torse nu et les cheveux mouillés. Le souffle de Joon se coupa brusquement.

— J'ai bien cru que tu ne descendrais pas, dit Aïmar. Tu m'évites ?

— Non... Non, pas du tout, mentit-il. Je voulais simplement te laisser le temps de rentrer...

Aïmar lui passa devant pour rapidement monter à l'étage chercher des vêtements propres. Son corps se tendit et ses joues s'enflammèrent. Pourquoi cette nuit en particulier était-elle plus difficile à surmonter que les autres ?

— Tu as faim ?

Brusquement tiré de ses réflexions, Joon hocha la tête en se forçant à ré-adopter une attitude normale. Il le regarda défaire les portions qu'il avait ramenées plus tôt de chez le restaurateur du coin de l'œil. Les muscles de ses bras, encore tendus par l'effort, les fines gouttes d'eau claire perlant de ses beaux cheveux bruns, son torse si bien dessiné se soulevant au rythme de sa respiration toujours calme et contrôlée... Ce soir-là, tous ces détails lui semblaient bien plus prononcés que d'ordinaire.

Sentant sûrement qu'on l'observait, Aïmar le regarda à son tour. Croiser ses mystérieux yeux fit accélérer les battements du cœur de l'eledarse qui tourna immédiatement la tête. « Non, ce n'est pas lui. C'est moi qui ne suis pas dans mon état normal. », se dit-il en serrant discrètement ses poings pour se calmer.

Depuis combien de temps n'avait-il pas regardé un homme comme cela ? Pas depuis Roman, pour sûr... Et même lui, l'avait-il déjà détaillé ainsi ? Il n'en avait réellement aucune idée. Mais se laisser aller à ces observations était malvenu, en ces temps de guerre qui perturbaient bien assez son esprit. Et puis ces sentiments étaient impurs, anormaux pour un homme ! Il n'avait pas le droit de se laisser aller à ces réflexions. Surtout pas alors que demain changerait peut-être le reste de leur vie pour toujours...

Lumarave I [Fantasy]Where stories live. Discover now