Chapitre III - Aïmar

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Ateliers des Hautes-Forges,

Contrée Libre

Bien qu'il soit en ligne droite jusqu'à la colline, le trajet de la locomotive qui reliait les mines aux Ateliers durait tout de même une vingtaine de minutes. L'ascension en colimaçon était la partie la plus délicate et celle qui prenait le plus de temps. Avant que le chemin de fer ne soit mis en place, les ouvriers transportaient les trouvailles des mines à l'aide de chariots tirés par des chevaux. Beaucoup de bêtes avaient perdues la vie dans d'atroces circonstances, en se cassant les pattes ou en perdant le contrôle. Plus d'une fois, il était arrivé que les plus faibles d'entre elles chutent dans le vide alors qu'elles gravissaient cette montée périlleuse et difficile, entraînant avec elles les chariots contenant la cargaison et l'homme qui le dirigeait.

« La route écarlate », que les ouvriers avaient finis par la surnommer avec le temps.

L'essor économique des Hautes-Forges avait alors entraîné la construction et la mise en fonctionnement de la ligne de chemin de fer afin d'augmenter la cadence des voyages et de tirer un trait définitif sur cette sombre appellation. Des wagons confortables avaient même été fabriqués pour les touristes qui affluaient jadis de part et d'autre pour découvrir les trésors de la région. Les riches commandes passées permettaient de telles dépenses sans crainte.

Seulement, l'épuisement des mines ayant progressivement engendré le déclin de la vallée, la locomotive effectuait de moins de moins de trajets. Elle avait été spécialement conçue pour être presque continuellement en fonctionnement. Elle ne chauffait à présent que lorsque les wagons débordaient afin d'économiser le charbon.

Déjà le père de Lysandre, ancien chef mécanicien de la vallée, avait passé la majorité de sa vie à gérer les différents problèmes de l'engin avant de prendre sa retraite vers la ville d'Aerilon, située au sud-ouest de la Contrée Libre. Dans la suite logique des choses, Lysandre avait pris le relai. Il excellait dans ce domaine. Certains disaient même qu'il surpassait son père lorsque ce dernier avait son âge. En même temps, était-ce si étonnant, quand on savait qu'il avait appris du meilleur durant toute sa jeunesse ? Aïmar s'était proposé de l'assister quand Gabriel avait commencé à limiter ses accès aux Ateliers. Depuis, ils travaillaient presque toujours ensemble quand Aïmar n'était pas réquisitionné aux forges. Ils formaient un binôme hors pair.

Lysandre fit dos au vent pour s'allumer une cigarette. Il s'était mis à fumer après la mort de Feon. En même temps qu'il s'était éloigné de ses amis. Il était fuyant, parlait peu et ne faisait plus du tout de plaisanteries alors que c'était sa marque de fabrique. Mais pas besoin de paroles pour comprendre que derrière ce visage neutre et cet air impassible se terrait un deuil qui ne se s'apaiserait probablement jamais. Un deuil et un fort sentiment de culpabilité. Parce qu'il était le plus âgé de l'ancien quatuor et qu'il n'avait cessé de prendre ce rôle au sérieux. Sans compter qu'il avait suffisamment répété qu'il serait le premier à partir au moment voulu.

Lysandre sortit un papier de sa poche et expira de la fumée tout en le lisant, tête baissée et silencieux. Comme à chaque fois qu'ils étaient seul à seul, Aïmar cherchait éperdument un sujet sur lequel discuter un peu avec lui. N'importe lequel, juste pour renouer un lien, une bride d'amitié, quelque chose dans ce genre, n'importe quoi... Mais rien ne lui venait en tête dans ces moments-là et sa gorge finissait fatalement par se nouer. Et aujourd'hui ne faisait pas exception, hélas.

Alors, la locomotive avançant tranquillement à vitesse raisonnable sur le plat de la vallée, il préféra regarder le paysage plutôt que d'interrompre la lecture de son coéquipier. Il était terriblement difficile de croire qu'ils furent si inséparables encore un an auparavant.

Lumarave I [Fantasy]Where stories live. Discover now