Chapitre 3

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Je me suis enfermé dans la chambre, tentant d'oublier ce qui venait de se passer à l'instant. Je voulais oublier cette proximité. Je voulais oublier ses mots. Cette provocation naturelle qui émanait de lui. Je voulais oublier cette attitude désinvolte. Je voulais l'oublier. L'oublier lui.

Tous les jours, des gens se plaignent de passer une « mauvaise journée ». Ils râlent et radotent que ce n'est pas « leur journée » et je crois que je fais dorénavant partie de ces gens-là. Ce n'est pas la pire journée de toute ma vie, clairement que non, mais j'ai également connu mieux.

Des fois, dans mon imaginaire, je me surprends à parler de tout ça à Anna.

Des fois, dans mon imaginaire, ses mots réconfortants me parviennent.

Des fois, dans mon imaginaire, Anna m'aide. Anna me sauve.

Mais je ne lui dis rien. Depuis des années, à chaque fois que l'on aborde le sujet « Nathan », mes mots se perdent. Pourquoi ? Parce qu'il m'a interdit d'en parler ? Aurais-je peur de lui ?

Non. C'est ridicule. Je n'ai pas peur de Nathan. Je n'ai jamais eu peur de lui.

Pourtant...Il y a bien un « quelque chose ». Quelque chose que je ne saurai définir. Quelque chose que je ne saurai pointer du doigt alors que c'est juste là.

Ah. Ça me fait chier. J'ai l'impression d'être l'un de ses pantins.

Je me redresse sur mon lit quand j'entends la clé de la porte se tourner dans la serrure. Ça doit être Marc.

« - Yo ! »

Il a un large et grand sourire. Il est heureux. Il est heureux, lui. Indirectement grâce à moi. Il a dû conclure avec Émilie.

« - C'est bon ? »

« C'est bon ? » Est-ce là tout ce que j'ai à lui demander ? Ce mec me pique ma copine théoriquement. Bon, ok, mon « ex-copine », mais quand même. Pourtant, ma question émerge comme si l'on venait de faire affaire lui et moi. Mais qu'ai-je eu en échange d'Émilie ?

« - Ouais. On a rendez-vous samedi soir ! »

Il ne se prive même pas pour me donner les détails.

À cet instant, il s'interrompit dans sa phrase, comme remarquant à quel point j'étais blessé. L'étais-je ?

« - Désolé, mec.

- Pourquoi tu t'excuses ? Elle m'a largué, elle m'a largué. Je ne vais pas en mourir non plus.

- T'as pas l'air spécialement enthousiaste non plus.

- Non, c'est ma tête de tous les jours, c'est tout. »

C'est vrai. C'est ma tête de tous les jours. Du moins, c'est comme ça que je me vois. Je n'ai jamais été de ces personnes spécialement enthousiastes. Je n'ai jamais aimé être « expressif », c'est tout.

« - Tu veux qu'on sorte ? Qu'on aille boire un coup ? On pourrait dire à l'abruti d'en face de sortir aussi.

- Qui ça ?

- Monsieur péteux là !

- Tu parles de Nathan ?

- Ouais...

- T'as pas l'air de l'apprécier. Pourquoi on l'inviterait ?

- Bah c'est ton pote d'enfance non ? Il pourrait t'aider dans ce genre de moment.

- Je n'ai pas besoin de son aide. »

Surtout pas. Je ne veux plus voir Nathan de la journée et d'ailleurs, je n'ai pas envie d'en parler. Une simple mention me hérisse le poil.

Plus je suis loin de Nathan mieux je me porte.

« - Ok...Si tu veux sortir, on sort, mais n'utilise pas le fait que je me sois fait larguer comme prétexte.

- Non, mais j'étais sérieux ! Tu fais une tête d'enterrement. Dis-toi que le plus malheureux de vous deux, c'est quand même elle.

- Mais bien sûr je vais y croire. »

Comme si la fille qui m'avait sauvagement abandonné en me donnant une excuse de merde allait être la plus malheureuse de nous deux.

Le plus malheureux c'est moi. Ça a toujours été moi.

« - Bon, habille-toi, je te sors !

- Je suis habillé...

- Ouais comme un grand-père. Là je te parle d'une vraie tenue, potable, présentable avec un minimum de classe.

- Elle ne te plaît pas ma tenue ?

- Non. T'as des goûts de chiottes pour ce qui concerne les fringues. »

Avant même que je n'eus le temps de protester, Marc se précipita au niveau de ma penderie pour me choisir un jean et une chemise « potable ».

« - Aller, change-toi, je t'attends dans le couloir.

- Parce que toi, tu sors débrailler comme ça ?

- Le jean troué et la chemise débraillée, c'est la classe. Ça attire !

- Je te pensais casé ?

- Casé ? Moi ? Avec qui ? »

Le faisait-il exprès ?

« - Ah ! Émilie ? C'est juste une amie avec des bénéfices... Si tu vois ce que je veux dire. »

En fait, je ne sais même pas pourquoi j'espérais autre chose de sa part. J'espérais juste autre chose de la part d'Émilie, je pense.

« - Bon, je vais me changer, je reviens.

- Ouais, je t'attends dehors ! »

Je l'entends refermer la porte tandis que je défais la ceinture de mon pantalon. Il fallut attendre quelques secondes pour entendre :

« - Tu sors ?

- Ouais avec Antoine. Tu veux venir avec nous ? »

Il ne m'était pas difficile ensuite de reconnaître la voix de Nathan. Ne pouvait-il juste pas rester dans sa chambre ?

Et y mourir aussi...ça serait bien. Je serais débarrassé comme ça.

Je me dépêche de finir de me préparer, ne faisant même pas attention à comment je mis ma chemise, pour envoyer tous les signaux possibles à Nathan lui faisant clairement comprendre que je ne voulais pas de lui dans les pattes ce soir. Ni ce soir, ni un autre soir.

« - C'est bon, je suis prêt ! »

Ils se sont retournés tous les deux vers moi, me dévisageant de la tête aux pieds et finissant par éclater de rire.

« - Quoi ? Pourquoi vous riez ?

- Antoine...Regarde ta chemise... »

Aucun bouton ne correspondait à aucun trou dans lequel je l'avais mis. Pour le coup, j'avais l'air totalement débraillé.

« - Moi, je ne te sors pas comme ça...Bon, je pars devant ! T'as qu'à me rejoindre au parking ! »

Marc me laisse alors seul, sur le palier de notre porte de chambre, face à Nathan qui avait alors cette étincelle étrange, tel un prédateur ayant trouvé sa proie et s'apprêtant à la manger.

« - Tu veux un coup de main pour te rhabiller peut-être ?

- Même pas en rêve. Je peux très bien y arriver tout seul. Merci.

- Je te trouve décidément bien froid ou c'est seulement avec moi ?

- Disons que c'est spécialement avec toi. Tu m'excuseras, on m'attend. »

Il fut un temps tout était différent entre Nathan et moi. Vraiment différent. Nous étions plus jeunes et même s'il a toujours été plus intelligent que moi, moi le naïf et celui qui ne comprenait jamais rien, j'ai toujours, je le pense, eu un sentiment particulier pour lui. Depuis petit, jusqu'à aujourd'hui.

Graal (BxB)Where stories live. Discover now