Chapitre 49

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On dit que le sexe après une engueulade c'est nettement meilleur que le sexe tout court et honnêtement, je favoriserais cette hypothèse. Néanmoins, ce n'est pas un formidable moment de plaisir qui m'enlèvera cette pensée de la tête : Je ne suis pas à l'abri ici.

Nulle part.

Je ne sais pas où aller et je ne sais pas vers qui me tourner. Je ne peux engager Julius et Nathan comme gardes du corps personnels même si j'en rêvais, mais je ne peux pas leur demander ça.

Je ne peux plus.

C'est assez cruel au fond. Comme réalité. Je me pensais bien ici. Je pensais pouvoir finir mes jours ici.

Mais je ne le peux pas.

Regardant Julius dormir à poings fermés, les cheveux recouvrant la moitié de son visage, j'éprouve un vague sentiment de peine à son égard.

Je ne peux pas le laisser pour compte et pourtant, il faut que je m'en aille. Il faut que je le laisse là.

Il faut que je les laisse tous là. Les embarquer c'est les engager et malgré leurs dires, malgré cette « guerre » présente, j'aimerais me dire que si je suis tout seul, si je me cache dans un coin, personne ne viendra me trouver.

Personne ne viendra pour moi.

Caligari.

Magantis.

Tenebris.

Aucune de ces trois familles ne se battra pour me faire la peau et je ne deviendrais pas qu'un triste et sombre objet à souhait.

J'aurai aimé que ces jours heureux durent plus longtemps. J'aurai aimé rester là, dans ses bras, à le regarder dormir comme si la terre s'était arrêtée de tourner pour nous. J'aurai aimé mettre fin à tout ceci d'une autre façon, mais la vérité est que je suis à court d'options.

Je ne sais pas quoi faire et la seule chose dont je suis certain...Est qu'il faut que je m'en aille.

Sur le bureau il y a un bloc note : Prendrais-je seulement le temps de le prévenir ? De lui dire ?

Pour lui dire quoi ? « Formidable moment, je m'en vais. Merci pour tout ». Je gagnerai la palme du mot d'adieu le plus pourri de l'histoire de la romance. Autant que je ne lui dise rien.

Si je ne lui dis rien, il ne saura rien.

S'il ne sait rien, il restera tranquille.

Ça, je le sais.

Je me rhabille dans la nuit et me faufile hors de sa chambre. Je sors sur la pointe des pieds, referme la porte et descends les escaliers tel un cambrioleur de bas étage. Tout le monde dort à l'heure qu'il est.

« - Je ne ferais pas ça si j'étais toi. »

La voix de Viviane manque de me tuer d'une crise cardiaque tandis qu'elle est tout simplement assise là, sur le canapé, les bras croisés.

« - Je ne peux rester.

- Oh, mais je sais. Je te dis seulement que je ne partirais pas seul si j'étais toi. C'est comme relâcher une crevette dans l'immense océan...Elle se fait vite bouffer. »

Elle se redresse, un demi-sourire au bout des lèvres, un sac sur le dos et me jette le mien à la figure.

« - Je t'attendais. T'as été plutôt long. »

Prenant les devants, elle passe la porte d'entrée et m'attends sur son seuil.

« - Bon eh bien...Y allons-nous ? »

Pouvais-je me permettre de prendre Viviane avec moi ? Je ne voulais impliquer aucun d'entre eux et me voilà déjà entouré de quelqu'un.

Mais Viviane...Viviane est différente.

« - Tu n'as rien dit aux autres ?

- Qu'est-ce que je devrais leur dire « Coucou, je prévois de faire le mur avec Antoine, ne nous en voulez pas. Bisous bisous » ? C'est ridicule.

- Et Julius ? »

Au nom de son frère, son pas ralentit et s'arrête net.

« - C'est un grand garçon, il saura se retrouver et puis au pire...On se retrouvera dans une autre vie. »

Je n'aimais pas ça. Cette façon qu'ils avaient tous de relativiser avec les adieux, la mort elle-même. Pour eux « mourir » revenait à partir en vacances quelque temps pour mieux se retrouver plus tard. Ils s'en fichaient totalement. Ils en étaient insouciants et j'enviais ce genre de comportement depuis bien trop longtemps maintenant.

Moi j'ai la trouille. J'ai peur. Une peur bleue. Je ne veux pas mourir. Je veux vivre.

Vivre demain et après-demain. Je veux vivre plein de choses encore et maintenant que j'en prends conscience, toute mon existence semble gagner en importance comme si moi seul comptais.

C'est faux. Il compte bien plus que moi.

« - Aller, Antoine ! »

Je la sens pressante et ne peux m'empêcher d'éprouver un léger remords à l'idée de quitter tout le monde ainsi.

Mais c'est pour le mieux. C'est pour le mieux, c'est pour le mieux. C'est ce que je ne cesse de me répéter maintenant depuis dix minutes tout en suivant Viviane.

C'est mieux ainsi.

« - Je peux te demander quelque chose Viviane ?

- Quoi donc ?

- Tu peux brouiller notre piste ? Pour que...

- Tu n'avais pas besoin de le demander...C'est en cours. Je ne suis quand même pas une sorcière de pacotille.

- Merci. »

Ça me soulage. Ça me soulage de savoir qu'ils ne seront pas capables de remonter jusqu'à moi. Jusqu'à nous.

Maintenant c'est nous contre le reste du monde. Contre ces familles et leurs désirs étranges. Contre cette guerre sans fin et sans but. Contre toutes ces choses qui rendent leur monde : idiot.

J'aurai juste aimé faire ça autrement.

J'aurai aimé dire ne serait-ce qu'au revoir.


*******

Et quand j'y pense ô combien je regrette ce moment. Ô combien je souhaite remonter dans le temps, revenir en arrière, trouver mon ancien moi et lui tordre la jambe. L'empêcher de partir. L'empêcher de fuir. L'empêcher de tourner le dos.

J'aurai aimé faire les choses autrement. En prendre conscience différemment.

Mais à ce moment-là, je ne savais pas.

Je ne savais pas que mon départ causerait le début de la fin.

La fin de sa vie.

La fin de la mienne.

La fin de la guerre.

Graal (BxB)Where stories live. Discover now