Chapitre 24

2.4K 336 8
                                    

Je pense que je l'ai perdue. La raison. Je pense que l'ai définitivement perdue.

J'ai pris un plaisir malsain et un goût horrible à souffrir. À endurer. À me laisser faire. J'ai pris cette habitude innommable à être à leur merci. J'étais là, allongé, enchaîné, martyrisé, brûlé, noyé, frappé et puis par moment, je me laissais aller. Parce que je savais. Je savais qu'elle viendrait. Encore et encore. Je savais qu'elle viendrait pour moi. Je savais qu'elle viendrait me sauver. Je savais qu'elle viendrait m'aider.

Je pouvais l'entendre. Sans même ouvrir les yeux, sans même avoir le besoin de savoir qu'elle était près de moi, je pouvais la sentir. Ses mains. Ses mots. Sa chaleur.

Tout ça semblait l'avoir emporté sur les tortures en général.

Tout ça semblait avoir pris le dessus sur les atrocités qui, d'une certaine façon, faisait de moi un homme heureux.

Ah. Mon dieu. Comment pouvait-on être heureux ? Comment pouvait-on aimer ça ? Comment...

Ça y est. Je l'ai perdue. Je sais que je l'ai perdue. Je sais qu'elle n'est plus là. Qu'elle s'est enfouie au plus profond de moi.

Ma raison est partie, claquant la porte derrière elle, m'abandonnant avec les quelques réflexes qu'il me restait encore.

« - Quel est ton nom ? »

C'est vrai. Je ne la connaissais pas. Je ne connaissais que les traits fins, mais marqués de son visage. Je ne connaissais que la douceur de ses gestes et la sécurité de ses bras. Je ne connaissais que le doux son mélodieux de sa voix.

Mais je ne la connaissais pas.

Je ne connaissais que ses courts cheveux noirs aux pointes sèches, abîmées. Je ne connaissais que le bleu glacial de ses yeux. Un bleu marin. Un bleu dans lequel on pourrait se noyer. Je connaissais des yeux semblables aux siens. Des yeux perçants. Des yeux dans lesquels s'y plonger était un risque à prendre.

Mais elle, je ne la connaissais pas.

Alors, elle me sourit, timidement comme à son habitude, posant un doigt sur mes lèvres abîmées et me dit tout bas :

« - Tu le sauras...Mais pas tout de suite. »

Et pourquoi pas ? Était-elle captive comme moi ? Depuis combien de temps ? N'avait-elle pas cherché à s'évader ? S'enfuir ? Comptait-elle sur moi pour tenter une action ? Dans ce cas, elle a parié sur le mauvais cheval de course. Moi, je suis plutôt un âne.

« - Pourquoi ?

- Parce que...Ils m'entendront sinon. »

Par moment j'oublie. J'oublie où je suis. Où nous sommes elle et moi. Si l'enfer devait exister sur Terre, ça serait certainement cet endroit. Les nuits de sommeil à cauchemardés sur le sort infligé, les journées à hurler à la mort, à supplier que l'on nous achève avant que la nuit ne revienne nous hanter.

Remettre ça durant ce qui semblait être une éternité.

Était-ce là une quelconque punition ?

Je n'ai jamais demandé à être là

Je n'ai jamais demandé à être comme ça.

Je n'ai jamais demandé à être ce que je suis.

Le suis-je ?

Comment le savoir ?

Ah. Me revoilà parti.

Il faut que j'arrête.

Il faut que j'arrête d'y penser.

Il ne faut plus que je pense.

Si je pense, je réalise et si je réalise, je me perds. Je m'égare.

Je me noie. Je me noie dans ma propre crasse. Dans ma propre merde. Dans mon impuissance et dans mon incapacité à pouvoir ne serait-ce que bouger le petit doigt.

Je ne suis rien.

Je ne suis personne.

Alors pourquoi ?

Pourquoi me font-ils ça ?

Pourquoi moi ?

Pourquoi personne ne vient pour moi ?

Était-ce là tout ce que je valais à leurs yeux ?

« - Si je pars...Partiras-tu avec moi ?

- Je ne peux pas.

- Pourquoi ?

- Parce que je dois rester là. Là où est ma place. Ma place, pas la tienne.

- Ta place n'est pas là...Viens avec moi.

- Non. Je ne peux pas.

- Pourquoi ?

- Je viens de te dire pourquoi. Maintenant, repose-toi.

- Vas-tu rester avec moi ?

- Veux-tu que je reste ?

- Le peux-tu ?

- Oui. »

J'ai eu comme un frisson, un électrochoc quand j'ai senti sa main dans la mienne. Sans m'en rendre compte, je l'ai serré si fort que je me suis demandé où je puisais autant de forces. Il ne m'en restait plus.

Je n'avais plus la force de rien.

Ni de me lever demain, ni de croire en demain.

Graal (BxB)Where stories live. Discover now