Chapitre 26

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Je ne me souviens pas de ce qu'il s'est passé ensuite. Je ne me souviens de rien à vrai dire. Je ne sais pas comment j'ai fini là, allongé, dans une chambre que je ne connaissais pas.

Près de la fenêtre, adossé à cette dernière, le regard plongé vers l'extérieur, les bras croisés, pensant...Il y avait Julius.

Julius qui ne dit rien. Julius qui s'est mu dans un silence implacable.

Je me contente alors de le regarder. Je me contente de regarder les gouttes de pluie se jetant avec violence contre l'imposante baie vitrée.

Nous n'étions pas chez Nathan. Nous n'étions pas sur le campus non plus.

Lassé de ce petit jeu du silence, je tente tant bien que mal de me redresser, mais rien que ce simple effort semble être douloureux. Trop douloureux. J'étais cloué là.

« - Si j'étais toi, je n'essayerais pas de bouger. »

Sa voix bien que faible se fait enfin entendre, mais ce n'est pas pour autant qu'il se donne la peine de me regarder. Bien au contraire. J'ai l'impression qu'il est en colère. En colère contre moi ? J'ai l'impression qu'il se cache derrière ce masque d'impassibilité comme lorsque nous avons couché ensemble.

Alors, entrant dans son jeu, je me recouche, plaquant ma tête contre l'oreiller et tente d'oublier que Julius et juste-là.

« - Comment tu te sens ?

- Sérieusement ? »

C'est moi qui suis en colère, mais je m'aperçois que ce n'est pas de la colère...C'est juste de la déception dissimulée. J'ai tant rêvé qu'il vienne pour moi et il ne s'est jamais montré, pas une seule fois. Toutes ces nuits où j'ai pleuré, où j'ai crié...où j'ai supplié.

« - Je présume que ma question était déplacée...

- Plutôt idiote. Vas-tu rester planté là encore longtemps ou vas-tu me faire face ? »

Mais comment me regarder quand mon corps est un champ de bataille avec ses plaies, ses bleus, ses brûlures et ses marques. Comment pourrait-il me faire face ?

Pourtant, il se détache enfin de la fenêtre et vient s'asseoir au bord du lit, plongeant ses iris dans les miennes. De grands iris bleus. Bleu comme la glace.

Ils avaient les mêmes. Elle et lui. Maintenant qu'il est là, je m'en rends compte. Ce bleu dans lequel j'ai si souvent recherché du réconfort, de la sécurité et auquel je me suis si souvent raccroché pour m'empêcher de sombrer totalement dans la folie.

« - Pourquoi restes-tu silencieux ?

- .....

- Pourquoi ne dis-tu rien ? Te ferais-je peur ?

- Je n'ai pas peur de toi.

- Alors, parle ou si tu n'as rien à me dire...J'aimerais rester seul et ceci n'est pas une requête.

- Me donnerais-tu un ordre ?

- Oui...

- D'accord. »

Il se relève sans broncher, sans sourciller, et se dirige vers la porte de la chambre, le regard malheureux.

« - Tu sais Antoine....C'est aussi difficile pour moi. »

Il la referme et je me retrouve enfin seul.

Encore seul.

Toujours seul.

Seul, sans avoir la moindre chance de m'échapper de cet endroit. Encore. Cela n'est pas différent de ma précédente captivité, elle est juste plus luxueuse sous certains aspects.

Quelques minutes plus tard, on frappe à la porte et je vois le visage de Nathan dans l'ouverture de la porte.

« - Je peux entrer ?

- Même si je te dis « non », tu vas quand même venir. »

Il échappe un léger rire et pourtant, tout comme Julius, je sens bien qu'il essaye de prendre des gants. Il ne sait pas comment m'aborder non plus. Ils ne le savent plus. C'est comme s'ils essayaient de voir sous quel angle me prendre.

« - J'ai croisé Julius dans le couloir...

- Et ? C'est censé attirer ma curiosité ?

- Antoine...Ne sois pas comme ça. Tu sais, nous sommes ceux qui regrettons notre impuissance. Nous sommes ceux qui sommes restés là, comme des idiots, ne sachant pas quoi faire. On a essayé, je t'assure ! On a essayé de venir te chercher...Maintes et maintes fois, mais ce monde obéit aussi à des règles, même si c'est la guerre.

- Dis-moi Nathan...As-tu déjà un jour perdu tout espoir ? As-tu souhaité mourir encore et encore ? »

Ses yeux fuient soudainement les miens et je comprends la réponse à ma question dans son silence.

« - Tu n'imagines pas...Tu ne peux...

- C'est là où tu te trompes...J'imagine très bien. Rappelles-toi bien...Nous vivons, nous mourrons et nous revenons à la vie dans un cercle infini. Je n'ai jamais dit que nous avons eu des morts « douces ». Non. Nous avons, pour la plus part d'entre nous, des morts violentes et devoir se souvenir de ça à chaque réincarnation est un véritable calvaire. Tu n'as pas idée des cauchemars que l'on fait. Tu n'as idée des souffrances que l'on endure. Tu n'as pas idée de tout ce que l'on subit uniquement pour...

- Pour moi ? J'ai parfaitement compris votre petit jeu de familles. Mais tu vois, à partir de maintenant les règles vont être différentes car je ne suis pas un objet et vous ne pourrez jouir de moi à votre guise comme vous l'avez toujours fait. À partir de maintenant, je serais seul maître de ce qui arrivera.

- Tu ne peux pas changer le cours des choses...

- Oserais-tu me mettre au défi ?

- Non...Je t'avertis.

- Oui, mais je ne suis pas un sorcier de pacotille, moi. »

J'étais en colère. Contre eux. Contre moi. J'étais réellement en colère contre ce monde-là et je pense qu'à ma remarque plus que désobligeante, Nathan a compris toute la rancœur que je ressentais alors.

Je ne sais pas combien de temps il me faudra pour l'évacuer, ni même si un jour elle me quittera. Après tout ça, j'en doute.

« - Tu devrais faire attention à ne pas trop prendre confiance en toi. C'est un conseil que je te donne.

- Je vais m'en passer.

- Très bien, comme tu veux. »

À son tour, suivant l'exemple de Julius, Nathan quitte la chambre.

Je ne voulais voir aucun d'entre eux. Je n'étais pas prêt.

J'avais besoin de temps. De temps pour moi. J'avais besoin de comprendre tout ce qui venait de se passer. J'avais besoin de le digérer.

J'avais besoin...De temps pour m'en remettre.

Parce que ça faisait mal. Ça faisait beaucoup trop mal...à l'intérieur de moi quelque chose s'était réellement brisé.

Graal (BxB)Where stories live. Discover now