Chapitre 3 : Faux amis et vrai semblant

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Jake m'attend sur le palier de notre étage, il a cet air contrarié qui lui colle au visage et présage des mauvaises augures à venir.

- Lut' me lâche t'il en mâchant un bonbon mentholé.

Je sais qu'arrêter de fumer a été très dur pour lui mais je devrais vraiment lui dire que les bonbons fisherman anesthésient ses syllabes, j'en ai marre des demis bonjours lâchés sur un palier frisquet.

- Comment va ma copine Dory ?

- Fuck Jake, arrête de regarder Nemo avec tes filles !

Il lève les yeux au ciel - au plafond amianté pour être plus précise - et me lance un clin d'oeil amusé.

- Comme si j'avais le choix ! D'ailleurs si tu veux elles font une rediff ce soir...

La phrase est dite malgré tout avec un sérieux qui m'interpelle.

- T'as un rencard ? Tu veux que je garde les filles ?

- J'ai une affaire à traiter ce soir.

- Je t'aurais bien dépanné mais j'ai une obligation.

J'évite sciemment de lui parler du rendez-vous professionnel pour esquiver ses moqueries en tout genre, Jake n'est pas trop le type d'homme à se montrer bienveillant envers ma personne. Il est plutôt le style à ne pas louper une occasion pour me charrier.

- Bon allez cocotte, on a un interrogatoire avec une jeune femme qui ne lâche rien, on compte sur toi. En revanche si tu pouvais ne pas être trop percutante non plus ...

S'il a commencé sur le ton de la plaisanterie, je sens dans sa voix, une hésitation, non, une inquiétude réelle pour ma personne. J'attends patiemment qu'il s'explique.

- ... Ben tu sais quoi, tu obtiens de meilleurs résultats que pas mal d'agents et Sidney voudrait te passer en nego.

Outch ... très peu pour moi, Sidney veut faire de moi la prochaine victime du service ou quoi ? Aller négocier les prises d'otage et compagnie n'est pas ma prochaine évolution professionnelle visée. C'est au moins l'avantage de n'y être "que" consultante, c'est que je pourrais l'envoyer bouler avec sa proposition pourrie !

Je ricane et le suis à la salle d'interrogatoire, elle est vide pour l'instant. Je me décontracte légèrement et détaille mon ami, il me semble fatigué et soudainement voûté.

Aurais-je sous-estimé ses ennuis ? Ses préoccupations ?

C'est un type assez trapu, le voir voûté va à l'inverse de sa stature. Je ne dis pas qu'il n'est pas charmant. Souvent, les gens pensent que trapu est un qualificatif peu complaisant, mais non ! Je veux simplement dire qu'il n'a pas une ossature fine et qu'il est passablement musclé. En soit si on aime le style bûcheron/homme des cavernes, Jake est alors un super spécimen, disponible qui plus est. Entre nous, il n'y a jamais eu d'attirance. Peut-être parce qu'au début, je ne ressemblais à rien, que j'étais couverte de cicatrices et surtout que sa femme faisait encore partie du paysage... Et puis, par la suite, je suppose que j'ai été un peu obnubilée par "Sam" qui etait-ce ? Étais-je vraiment libre ?
Et Jake était certainement trop occupé à gérer seul les filles - et essayer d'atténuer leur peine d'avoir été abandonné par une mère inconsciente - pour me draguer.

Le temps nous a simplement conduit de ce statut d'enquêteur à collègues puis amis. Car Jake, avant d'être mon ami, avait tout d'abord été l'agent chargé de l'enquête comme je l'explique souvent. Il se plaît à dire que je suis un peu son exception, bien trop souvent, il s'occupe de personnes disparues et pour une fois il a dû prendre en charger une personne "trouvée" c'était plutôt cocasse, pour lui tout du moins. Enfin, il fallait vite le dire et ne pas trop abuser du terme. Car au début, quand on m'avait trouvée, couverte de plaie et de contusions, le bras fracturé, on avait conclu que j'avais été torturée avant d'être abandonnée au fond du jardin de Jim. Et ça, en soi, ce n'était pas très "cocasse".

Je travaille maintenant régulièrement avec lui et ses collègues, passant d'un service à l'autre, en me chargeant de certains interrogatoire, je leur obtiens plus rapidement les informations et leur laisse plus de temps le terrain.
Là je sais que Jake travaille sur l'enlèvement d'un jeune adolescent qui est le neveu d'un agent. À chaque fois que cela touche l'un des nôtres, le F.B.I est mobilisé au cas où il y aurait une corrélation.

Jake est en train de me montrer les photos du jeune disparu puis de son petit frère témoin de la scène.

- Il a vu son grand frère se faire tabasser par le fiancé de la femme que tu vas interroger. Il les a identifié tous deux et il est formel, c'est dans leur voiture que Juan a été emmené. La fouille du domicile et des environs n'a rien donné. Pour l'instant, rien ne nous laisse réellement penser qu'il y ai un lien avec notre agent, mais on ne sait jamais.

J'écoute toutes ses explications sur le dossier comme si je ne savais rien. Jake est comme ça, il a beau m'avoir tout envoyé par mail, savoir que j'ai planché sur le sujet, à chaque fois c'est le même topo, il me réexplique tout. Je profite de ces instants pour glaner des informations non verbales, les mimiques qu'il fait me sont bien plus précieuses que des photos ou des écrits de trois pages.

Je vois dans le couloir passer mes autres collègues qui me font un sourire et lève le pouce en l'air.

- Qu'est-ce qui leur prend ?

- Laisse tomber ... Un pari stupide.

Curieuse, je me balance en arrière et les zieute un peu plus.

- Bon, si je t'ennuie dis-le ! Tempête Jake voyant qu'il a perdu toute mon attention.

Chose qui n'est pas très difficile à faire car je suis du genre tête en l'air, ce qui l'exaspère au plus haut point.

- Dis-moi et je t'accorde à nouveau l'attention dont ta magnificence a besoin.

Il a ce sourire idiot qui apparaît à ses lèvres et s'assoit face à moi.

- Ils ont parié que tu n'aurais pas l'adresse où est détenu le jeune, j'ai parié que oui ... j'avais un peu bu et j'ai parié ma semaine de vacances contre la vaisselle du midi pendant un an dans la salle de pause.

- Mais quel horrible négociateur tu fais, ne puis-je m'empêcher de rire.

Il hoche la tête, sa semaine est jalousée par les deux tic et tac qui viennent de passer, je sais qu'il en a plus besoin qu'eux, c'est l'anniversaire de sa grande à ce moment là.

Je mets donc un point d'honneur pendant l'heure suivante à cuisiner aux petits oignons ma jeune criminelle. Je les sais en suspens derrière la vitre sans tain, accrochés autant à mes lèvres qu'à celle de Maria, jubilant et suant tour à tour.

Une heure plus tard, je sors de la pièce, l'avocat écarlate et traumatisé sur mes talons. Je ne vois pas Jake je sais déjà qu'il a foncé récupérer le jeune homme disparu dont j'ai obtenu ... l'adresse.

Tic et tac sont là et me topent la main, ils m'invitent même à prendre un café à la machine.

- T'es douée June !

J'observe leurs visages ravis et me rends compte qu'ils n'avaient pas vraiment envie de gagner, juste d'asticoter leur collègue.
J'ai de la chance, dans chacun de mes deux boulots, j'ai des collègues en or que j'apprécie beaucoup et qui, je crois, me le rendent bien.

Je tourne la tête vers Maria qui s'en va, escortée vers une cellule. Pauvre gosse, finalement tout cela c'était simplement une histoire de jeunes qui a mal tournée. La Maria en question est tombée amoureuse d'un dealer à la sauvette, le neveu de notre collègue les a surpris et menacé de les dénoncer à son oncle et ils se sont sentis piégés. Pour être tombée sur le mauvais gars et s'être laissée embobiner par ce con, elle va passer quelques temps en maison de correction et sortira dès années après complètement déphasée ... Pour une succession de mauvaises décisions.

Ps : je rentre bientôt (Terminé)Where stories live. Discover now