Chapitre 4 : Famille

5.3K 561 18
                                    

Le soir, je sors de mon dîner "d'affaires" en colère et avec le sentiment d'avoir été salie.

Je suis en colère car, sous le feu incessant de ses questions, Chester a noté quelques incohérences dans mes souvenirs. Tout est parti de la simple évocation d'un ancien président, pour lequel il avait une préférence. Évidemment que je ne m'en souvenais pas ! J'ai beau lire énormément, me cultiver sans cesse pour combler le vide, les gens remarquent parfois que mes dires sont uniquement théoriques. La plupart des personnes sont trop polies pour aller plus loin, mais Chester n'est pas un homme poli, c'est un emmerdeur, un sale vicelard en sus. Quand, à son interrogatoire déplacé, j'ai flanché, il m'a questionné sur d'autres points et a trouvé quelques failles. Mais qu'est-ce que cela peut lui foutre que je ne sache pas qui a couché avec qui à la maison blanche ? En plus, ce n'est pas vrai, ça, je le sais parce que je lis la presse people à mes heures perdues.

Je me sens sale d'avoir été à ce rendez-vous, où un homme a cru pouvoir m'utiliser pour le travail et coucher avec moi. Je sentais venir la chose gros comme une maison, d'où ma tenue de jeune première ! Je tape avec violence dans le pneu de ma vieille voiture et essuie avec le revers de ma manche une larme de rage. La pauvre voiture de Marc souffre beaucoup avec moi, je la malmène souvent. Comme on ne savait pas si j'avais le permis et que j'avais visiblement oublié comment conduire, j'ai appris à conduire avec elle - enfin avec Jim plus précisément - et je la chérie pour les heures de dur labeur et de vil frayeur que nous avons partagées.

Ma vieille porche se traîne jusqu'à chez nous avec lassitude. La lumière du perron est éclairée, je sais que ce n'est rien que pour moi que Jim l'a mise, afin que je ne me fasse pas mal en tombant ou bien que je n'ai pas peur de la pénombre environnante. À la campagne, loin des lumières de Boston, tout est plus effrayant la nuit. Les habitudes ont la vie dure, il le faisait déjà pour sa femme ou son fils et naturellement, il a poursuivit avec moi. C'est un homme qui aime prendre soin des siens.

Il est là, près de la bouilloire, l'air épuisé. Cardiologue à son âge, cela commence à tirer, il n'a plus autant la pêche pour enchaîner les gardes et les interventions interminables. Il aurait dû accepter sa promotion de chef de service ! Seulement, avec tout ce qui lui est arrivé, il a fini par être mis de côté et la place a été donnée à quelqu'un d'autre.

— Comment tu vas ma puce ?

Je hausse les épaules et il ouvre les bras pour m'accueillir alors je m'autorise à pleurer dans son giron.

— Ça s'est mal passé avec Chester ?

Je lui déballe toute l'histoire, assise sur une chaise du bar, pendant qu'il me prépare une infusion avec du miel.

— Je t'avais dit que tu aurais dû refuser. Des dîners d'affaires, tu en as déjà eu, mais celui-là, tu ne le sentais pas et on t'en avait fait mauvaise presse ...

Je sais qu'il a raison, c'est ça le pire, mais je me suis sentie obligée à cause de ses relations, c'est idiot car j'ai fait mes preuves et j'ai ma clientèle et surtout mon deuxième boulot, je n'ai pas besoin de lui en soi. Je soupire et souffle sur ma tasse trop chaude.

— Ma voiture a un voyant qui s'est allumé en arrivant, tu pourrais regarder demain ?

— Tu l'as emmené au garage comme je te l'avais dit ? Me sermonne t-il avec son air mécontent.

Pourquoi me le demande-t-il lorsqu'il sait pertinemment que je ne l'ai pas fait ?

— Non, je ne l'ai pas fait, j'étais trop pressée d'aller à ce rendez-vous me faire humilier, je marmonne, d'une absolue mauvaise foi.

— Va enfiler ton pyjama, tes chaussons et viens regarder un film pour te détendre.

C'est du pur Jim, ça, changer de conversation pour détourner l'attention d'un sujet qui fâche, même si c'est lui qui a amené le sujet qui fâche sur la table.

Un jappement attire mon attention, Mister Peanuts tient une paire de charentaises dans la gueule. Il est à l'écoute de tout, il y a des mots qui font partis de son langage canin, le mot chausson, s'associe immédiatement à un ordre, il doit ramener à sa maîtresse ses chaussons. En revanche, je n'ai toujours pas compris pourquoi, il me ramène inlassablement les vieilles charentaises - que Jim m'a donné à l'hôpital - et non, mes jolies pantoufles en forme de licorne, que les filles de Jake m'ont offertes à Noël dernier. Cela dit, je suis comme lui, j'en viendrais presque à préférer mes pantoufles de "vieux" qui sont confortables et bien chaudes.

Je lui caresse la tête et le bichonne, mon chien est vraiment le plus fort. Même si, Mister Peanuts c'est un peu comme tout ici, encore quelque chose que j'ai emprunté à quelqu'un d'autre. A Emy ... La fille décédée de Jim.

Mais peut-être que, quelque part dans le monde quelqu'un a pris ma place et qu'il ne s'agit juste que d'un échange de bon procédé ?

Mister Peanuts sautille autour de ma chaise jusqu'à ce que je me glisse dans ces maudits chaussons puis il me suit partout, jusqu'à se faxer discrètement sur le canapé pendant qu'on regarde un épisode d'une série policière. Il sait que Jim n'est pas d'accord, il sait aussi que depuis la mort de sa famille, Jim est moins regardant, ce chien est un chien malin en somme. Ou un opportuniste me dis-je, en lui donnant une friandise que le vétérinaire m'a vendue la peau des fesses.

— Arrête, tu vas te retrouver avec un chien obèse ! Me gronde Jim.

— Comme dans le petit film "si les animaux étaient gros" gloussé-je.

Cette fin de soirée simple et sans chichi m'a fait beaucoup de bien, je me sens mieux.

Zora m'a même envoyé des textos outrés quand je lui ai raconté, à sa demande, la soirée. Je l'apprécie vraiment bien cette petite jeunette. Je suis encore en train de décrypter son dernier message quand Jim éteint la télévision.

— Allez, vas te coucher ma puce, il est tard.

Doucement il caresse la tête de Mister Peanuts et sourit, plein de tendresse.

— Tu déséduque complètement ce chien, regarde-le ! Quel malheureux !

En effet, le golden semble bien à plaindre, les quatre pattes en l'air, la tête calée contre ma cuisse dans un angle improbable.

Difficile de l'imaginer dépressif... et pourtant, dès que Jim a tenté de le donner à un autre enfant malvoyant, il est rentré dans un état de névrose impressionnant, ne mangeant plus, ne jouant plus et montrant même les dents.

C'est simple, ce chien aime trois choses : moi en premier, Jim et la maison, c'est sa zone de confort comme dirait Ellis.

Sur cette pensée réconfortante je me laisse gagner parle sommeil, faisant fi des jappements de mon coturne qui fait encore et toujours des cauchemars et de ma gorge qui me pique

Ps : je rentre bientôt (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant