Chapitre 11: Une main tendue

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Alors que les gens s'affolent et me bousculent, je perds le sens de l'orientation et laisse la foule m'écraser et me guider, m'éloignant de mon but. Un septuagénaire dégarni me griffe même en voulant me pousser pour me passer devant et gagner la sortie avant les autres. Je sens la peur me gagner à mon tour je vois par dessus sa tête chauve les flammes qui s'échappent d'un des draps tendu au fond de la pièce. Quelle catastrophe, le Park Plazza va être rapidement ravagé par les flammes.

Soudain une main se glisse dans la mienne, elle est chaude et ferme, elle me tire avec vigueur contre un torse masculin. Je sais que c'est lui, je n'ai même pas besoin de relever mon visage pour le savoir.

C'est comme instinctif. Je ne peux pas distinguer son visage, tant nous sommes serrés les uns contre les autres mais je sens sa présence rassurante. Je n'ai aucune idée d'où Jim et Jake sont passés, une vague de panique me traverse, avant que la main de Samuel ne m'attire plus près encore.

Avec aisance, il nous dirige à travers la foule déchaînée, plus nous avançons plus je me sers contre lui. Il me dépasse d'une bonne tête et j'imagine que c'est plus facile pour lui que pour moi de voir où nous allons. Ma main glisse de la sienne, arrachée par un couple de personnes très chics qui m'agrippe.

— Abigail !

C'est mon prénom ?

Je tends la main et attrape de nouveau la sienne, avec fermeté il me tire à lui et me fait sortir enfin du hall bondé puis de l'escalier. Nous laissons derrière nous la salle qui est rapidement envahie par les flammes.

J'entends également des hurlements et des pleurs, la scène qui s'offre à nous pourrait paraître apocalyptique. Les pompiers sont en train d'arriver sur place et s'activent autour de nous, cassant les vitres pour passer les lances. Moi je reste le regard plongé dans celui du jeune procureur. face à lui, sans qu'aucun de nous n'ose prononcer un mot.

Il se racle la gorge et met un temps infini avant de parler. Tellement de temps que Jake nous aperçoit et m'apostrophe.

— June ! June !

Je tourne la tête vers lui, décrochant à regret mon regard de celui de Sam.

Jake joue du coude dans la foule. Je remarque qu'il a l'air soulagé de me voir.

— Ton père ne se sent pas bien. Il refuse de suivre les pompiers. Et je ne peux pas m'en occuper, on est réquisitionné.

Le contraire m'eut étonné.

Samuel a plissé les yeux d'incompréhension, il est tour à tour perdu puis en colère. Jake semble alors remarquer sa présence.

— Monsieur le procureur, vous souvenez de moi ? Agent spécial Welsh, FBI, se galvanise t'il en tendant sa main qui reste en suspend un peu trop longtemps avant que son interlocuteur ne la saisisse.

Dans son regard passe une foule d'émotions que je devine, soit de par mon métier soit de par notre passé commun, qui est peut être gravé là quelque part. Il y a cet étrange mélange de colère - voir même de rage - de ... tendresse ? Et pour finir de tristesse. Jake, insensible à tout ça, aperçoit un collègue et fonce le rejoindre, le devoir appelant.
Avant de partir, il me tapote l'épaule.

— Prends soin de toi June, c'est un peu le merdier ici.

Je hoche la tête, je sais que derrière ses airs bourrins, il est réellement soucieux de ma personne.
Alors qu'il est parti, Samuel enrage à mes côtés.

— June ? Éructe t'il avec un ton est plein d'ironie mal contenue et je ne sais même pas par où commencer mes explications qu'il me coupe déjà....

— Tu passeras me voir pour signer les papiers du divorce, demande à ton "ami" ou à ton "père" de t'indiquer le chemin du bureau du procureur... visiblement tu as un peu de mal à retrouver ta route. Ah mais non j'oubliais, June... tu sais exactement où c'est !

Abrutie, je le regarde s'éloigner et je réalise enfin que je n'ai pas prononcé une seule phrase en sa présence, j'hésite quand à l'opinion qu'il a dû avoir de moi ... Sotte ? Greluche ? Il ne s'est passé qu'un quart d'heure et cet homme a suscité plus d'émotions en moi que quiconque en quatre longues années. Car si j'ai ressenti de l'attirance à ses côtés, à présent c'est la colère qui m'anime, qu'il pense ce qu'il veut, je suis pas une imbécile, j'avais de quoi être surprise ! Et puis d'abord il était où pendant ces quatre putains de longues années ? Il débarque comme un sauveur pour m'extirper des flammes et ni bonjour ni merde ! C'est viens signer les papiers du divorce !
Mais qu'est-ce que moi j'en ai à foutre de divorcer, je ne me sentais même pas mariée à ce - charmant- inconnu. J'hésite quand à la conduite à tenir, débarquer en lui disant la vérité et en le culpabilisant - si tant est que ce soit possible - ou alors divorcer et bon débarras... Puis je revois mentalement ses yeux, leurs profondeurs et leurs tristesses, quelque chose me touche. Et je réalise que si je dis la vérité, il sera interrogé, suspendu de ses fonctions le temps de l'enquête et la presse saisira avec un plaisir manifeste l'affaire. Le jeune procureur accusé d'avoir battu et laissé sa femme sur le bord du chemin. Jake même sera sans pitié quitte à y laisser sa carrière.

Je n'arrive pas à me décider, je suis juste profondément convaincue que s'il avait tenté de me tuer et était responsable de tout ce merdier il ne viendrait pas d'essayer de me sauver. Je sentirais cela, non ? Et il ne serait pas revenu sur les lieux de son crime.

Perdue dans mes pensées et aigrie, je me tourne vers la voix de Jim qui rechigne à exécuter l'ordre d'un tout jeune pompier et l'agresse.

— Monte dans ce camion !

Surpris, il reste pantois et me dévisage de longues minutes.

— Mais je vais bien... ils ont autre chose à faire ...

— Monte immédiatement dans ce camion sans discuter.

Le visage grisâtre de Jim se fige un instant, il n'a vraiment pas l'air bien tout de même. J'ai raison de le secouer ainsi, il faut qu'il se soigne. J'ai moi aussi la tête qui me tourne tout à coup, mes pieds qui jusque là avaient cessé de se faire sentir, me tiraillent vraiment. J'ai, dans le reflet d'une vitre, un triste aperçu de ce à quoi je ressemble. Ma robe est pleine de cendre et légèrement roussie, ma coiffure est défaite et mes traits tirés, je ne ressemble à rien.

Je suis juste lasse.

J'ai imaginé des milliers de fois nos retrouvailles, sous tant d'angles différents et tant de scénario que je pense en avoir fait le tour. Mais jamais cette option ne m'est venue à l'esprit. Je l'ai tout d'abord pensé cauchemardesque, retrouvant l'homme qui m'aurait molesté et abandonné, le désignant à la face du monde comme mon "assassin", je l'avais ensuite imaginée romanesque, le pauvre homme m'aurait cherché en vain toutes ces années - à l'étranger - seule explication possible à son loupé. Et puis j'avoue l'avoir pensé mort, torturé avec moi, s'étant sacrifié pour ma survie et la douleur m'aurait enlevé la mémoire ...

Mais il faut se rendre à l'évidence, il n'est visiblement ni diabolique, ni romantique et encore moins mort ... Et moi je me sens juste idiote et insignifiante.

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Alors ces retrouvailles ? Qu'en pensez-vous ?

Et j'ai besoin de savoir, qu'en pensez-vous tout court (du livre) jusque-là ?

Ps : je rentre bientôt (Terminé)Where stories live. Discover now