Prologue.

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Stacy


          La salle d'attente est immense et bondée de monde, je n'aime pas la proximité de ces gens autour de moi. Certains sont sur leurs portables, tandis que d'autres ferment les yeux en attendant que ce soit leur tour, personne ne parle ni ne bouge. Je déteste le silence de cette pièce qui me rappelle celui de la mort, tout comme je déteste la pluie infernale qui bat dehors à cette heure du soir. Le soleil de Floride me manque tellement...

Je frissonne, j'ai froid et je suis fatiguée. La fille de dix-sept ans que je suis n'est pas habituée à ce genre de grise mine. Pourtant, depuis que j'ai posé le pied sur cet État de Washington, elle me colle à la peau quoi que je fasse. Le mauvais temps de cette ville joue déjà sur mon moral, et je n'ai pas de mal à imaginer ce qu'il adviendra d'ici quelques mois...

Je chasse ces idées noires de mon esprit, et profite de cette longue attente pour repenser aux soirées au bord de la plage avec Maman et ma petite sœur Daniella. Je m'autorise à fermer les yeux quelques secondes afin de me remémorer les bons moments que j'ai vécus avec ma famille, consciente que d'ici quelques minutes je devrai me livrer sur ce qui hante ma tête jour et nuit. Je souris presque inconsciemment en m'imaginant sous le soleil chaud de Miami, et réajuste mon large sweat-shirt comme pour faire disparaître les frissons qui parcourent mon corps. Mon dieu, ça me manque tellement...

- Stacy. Qui est Stacy Jones ?

Une voix féminine me tire de mes rêveries, je réalise confusément que je me suis endormie. Ai-je vraiment réussi à dormir sur ces chaises inconfortables ? Pas le temps de penser à ça Stacy, bon sang ! Lève-toi et va t'excuser.

Je me mets à bailler et me relève rapidement, désolée. La jeune femme m'ayant repérée, me fait signe d'avancer dans un long couloir. Je la suis les mains dans les poches, et m'amuse à regarder sa longue chevelure brune se balancer de gauche à droite jusqu'à l'entrée de son bureau. Je jette de rapides coups d'œil aux murs recouverts de ses diplômes avant qu'elle ne m'autorise à m'assoir. Je ne me fais pas prier pour le faire. Pourquoi est-ce que mes jambes semblent aussi molles que du caoutchouc ?

- Alors Stacy, quelle est la raison de ta venue ?

Mme Klark, si j'en crois l'inscription sur ses nombreux certificats, pioche un stylo dans le pot à sa droite et se met à écrire quelques mots sur un carnet usé. Un carnet abritant tous les sombres secrets des personnes qui la consultent.

- J'ai toujours été suivi par un psy en Floride, alors je suppose que Maman n'a pas voulu changer cette habitude.

Elle prend à nouveau quelques notes, ce qui me fait détourner aussitôt le regard. C'est insupportable de ne pas savoir ce qu'elle écrit, j'anticipe les mots qu'elle utilise pour me définir et ma peau commence à me démanger tant je suis stressée.

- C'est vrai que les températures de Seattle ne sont pas les mêmes, rit-elle. Tu as une idée de la raison de ce déménagement ?

Voilà, ça commence.

Mal à l'aise, je me dandine sur ma chaise. Mes doigts se tortillent entre eux et mon regard s'abaisse au niveau des mes vieilles Converses. J'entends la mine de son stylo gratter le papier, mais ça ne m'empêche pas de lui répondre sarcastiquement.

- Ma mère a rencontré un mec sur Tinder, et ouais faut croire que ça marche ce truc. Ils ont eu le coup de foudre et après un an de relation virtuelle, ils ont finalement décidé d'emménager ensemble... dans cette ville, grimacé-je.

La femme se contente de hocher la tête de haut en bas comme pour m'inciter à continuer, mais je n'ai rien d'autre à dire. Elle pose finalement son stylo devant son carnet et me sourit de ses dents parfaitement alignées.

- Je suis sûre que tu t'habitueras très vite à cette nouvelle vie. Et puis c'est le moyen de prendre un nouveau départ, vois ça comme une nouvelle aventure !

Sa voix pleine d'entrain et son grand sourire pourraient rendre son petit speech crédible si j'étais ignorante, malheureusement ce n'est pas le cas. La positivité de ses mots ne me fait aucun effet et il en est de même de l'espoir qu'elle tente en vain de me transmettre. Car, je sais très bien que peu importe où j'irai, rien ne changera jamais. Ce n'est pas la ville le problème, c'est moi.

Lorsque la séance se termine, je lui serre la main poliment et m'engouffre dans le long couloir censé me libérer de cette forteresse. Il ne me faut que quelques secondes pour enfin respirer l'air frais de dehors, me délestant ainsi de cette pression qui obstruait mes poumons. Les liens du passé me serrent toujours autant la peau, néanmoins l'eau de pluie qui ruissèle sur mon visage et qui s'ancre dans ma chevelure bouclée, rafraîchit durant un court instant leurs brûlures quotidiennes. Je laisse l'averse inonder les tissus qui recouvrent mon corps, s'introduire dans chacun de mes pores, jusqu'à m'envahir toute entière comme si elle avait le pouvoir de m'épurer pour de bon. Mes mèches troublent ma vue. L'humidité encombre l'efficacité de mes doigts, mais j'arrive tout de même à envoyer un message à ma mère pour qu'elle vienne me récupérer.

Ainsi, soumise à cette tempête comparable au désordre de ma vie, je fixe l'horizon à la recherche de sa Toyota bleue. Et je prie intérieurement pour que son nouveau petit ami ne prenne pas trop de son temps.

Insensible (terminée)Where stories live. Discover now