Chapitre 19

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Ethan.

Je l'avais fait pleurer et je m'en fichais. J'avais vu son regard vert s'humidifier avant qu'elle ne prenne la fuite et je n'en avais rien à foutre. Les mots étaient sortis les uns après les autres de ma bouche sans que je ne puisse ni ne veuille les en empêcher. Je savais que ça lui ferait mal mais je l'ai fait quand même. Je suppose que lorsqu'on est un sans cœur, on ne pense pas à ce genre de choses. On se contrefiche des dégâts que causeront nos actes et nos mots, conscient que rien ne nous touchera jamais. Et je crois que c'est ce que j'ai fait, je lui ai balancé toutes les pires choses qu'elle refusait de s'avouer, je l'ai vu se décomposer et se fissurer sous mes yeux, et j'ai continué ma vie comme si rien ne s'était passé.

Joshua était venu me voir dans l'après midi, il m'avait croisé au détour d'un couloir et s'était arrêté pour me dire que j'y étais allé fort avec la rouquine. Je ne savais même pas qu'il nous avait entendus pour être honnête. Comme tout bon délégué l'aurait fait, il l'a défendue en me rappelant qu'elle était nouvelle et qu'elle ne méritait pas qu'on la rabaisse comme je l'ai fait, il a également essayé en vain de me défendre en me trouvant des excuses atténuantes, mais j'étais déjà parti quand il s'était mis à monologuer. Je n'avais pas besoin de l'écouter, je n'avais pas besoin d'entendre que j'étais un pauvre adolescent harcelé et détesté de tous, qui avait ressenti le besoin de décharger la colère subvenue de la haine qu'il reçoit quotidiennement, sur quelqu'un qui ne le méritait pas. Parce que c'est entièrement faux.

Je n'en ai jamais voulu à personne, surtout pas à cette pauvre fille mal dans sa peau. Je le vois à son visage continuellement crispé et à ses doigts qu'elle ne cesse de tortiller, qu'elle est malheureuse. Si je lui ai balancé tout ça à la figure, c'est parce que j'ai compris à quel point elle était idiote de jouer un rôle qui ne lui va pas. Rien ne m'a jamais empêché de dire tout haut le fond de ma pensée, et je doute qu'un jour ça puisse changer. C'est uniquement parce que je suis naturellement un monstre que j'ai décidé volontairement de lui faire du mal. Ça ne se fait pas, je le sais bien, maman m'a suffisamment répété ce qu'il était bon de faire et de ne pas faire, pour que je sache que mes décisions sont mauvaises. Mais bon, elle n'est plus là. Et avec ou sans elle à mes côtés, je demeure cet insensible.

Cet homme qui n'éprouve rien et qui est dans l'incapacité de réfléchir avec son cœur.

J'étais rentré chez moi, et j'avais patiemment attendu en faisant mes devoirs que mon alarme m'avertisse de partir travailler. En adéquation à d'habitude j'étais seul, avec pour seul accompagnement le grincement qu'émettait mon crayon à papier sur le cahier de mathématique à mes genoux. Je faisais mes devoirs, je résolvais des équations pour être exact. Et puis mon portable s'est manifesté, alors j'y ai mis fin, me suis levé, ai enfilé ma veste en jean et mes baskets puis ai quitté notre maison vide.

...

Je ne me suis jamais vraiment demandé ce que les gens pouvaient penser de moi en me voyant dans la rue. Je ne me suis jamais demandé si les enfants qui me voyaient pouvaient avoir peur de ma démarche triste et maussade, si les jeunes filles et femmes qui me croisaient pouvaient me trouver repoussant et effrayant de par mon allure de dépressif, et si tous les gens que je pouvais rencontrer étaient amenés à avoir pitié de moi. Ce sont les réflexions que je me fais en traversant la route qui ne me sépare que de quelques mètres de la boutique de Mr. Elthon. Les mains dans les poches de ma veste, le dos recroquevillé et le visage tourné vers le sol, je m'imagine même ce que les personnes dans la petite voiture à ma gauche peuvent penser de moi. Je ne détourne à aucun moment mon regard vers eux, pourtant je peux sentir que deux yeux sont braqués sur moi. Et lorsque je relève le visage, leur petite voiture bleue s'est déjà volatilisée. Etait-ce seulement mon imagination, ou quelqu'un était t-il en train de m'observer ? Ce n'est pas comme si cela pouvait m'importer de toute façon.

Insensible (terminée)Where stories live. Discover now