Chapitre 9

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Ethan.

    Aujourd'hui et ce pour la première fois de ma vie, je suis collé. C'est une journée banale en réalité, rien n'est différent de d'habitude. Je serai simplement assis sur cette chaise deux longues heures, pendant que mes camarades seront tranquillement chez eux. Quant aux plus chanceux, ils se balleront certainement en ville avec leurs parents ou leurs amis. Ce n'est pas comme si ça pouvait me déranger de toute façon, je ne fais jamais rien de mes journées. Les week-ends et les mercredis, je fais mes devoirs et vais aider M. Elthon à la boutique quand il a besoin de mes services. Sinon, je ne sors pas, je ne fais pas les magasins non plus, et traîne encore moins avec mes amis ou ma famille inexistants. Etre retenu est presque une opportunité de me faire sortir de ma grotte finalement.

J'enfile un t-shirt bleu et un jean blanc, prends ce qui me passe sous la main et remplis mon sac de toutes ces affaires scolaires qui pourraient m'être utiles durant ces deux heures d'enfermement. Comment auraient réagi mes parents si j'étais dans la peau de ce garçon normal ? J'y réfléchis en continuant de me préparer. Ils m'auraient probablement disputé et puni. Privé de téléphone aussi et interdit de sortir rejoindre mes amis à cette soirée dont tout le monde parle. Enervé, j'aurais crié et déchargé toute ma colère sur eux. Ils m'auraient demandé la raison de ma retenue et en leur racontant l'épisode de ce matin-là, ils auraient ri. Ouais ils auraient ri et dit que c'est généralement par ce genre d'incidents que naissent les histoires d'amour. J'aurais roulé des yeux et secoué la tête en les écoutant me raconter pour la centième fois comment ils étaient tombés amoureux l'un de l'autre. Et puis tandis qu'ils continueraient leur long monologue, j'aurais pris la porte pour ne pas être en retard. Arborant ce sourire fier et assis côte à côte, ils m'auraient regardé affronter la vie.

Bien sûr tout cela n'est que fictif, ce ne sont que des évasions que je me crée dans le but de fuir la réalité. Une réalité qui me rappelle que je ne suis pas ce garçon et que je n'ai pas sa vie. Ma mère est morte à mes huit ans d'un accident de voiture, et mon père alcoolique n'est toujours pas rentré à la maison depuis deux jours maintenant. Cette maison qui, noyée dans l'obscurité n'est seulement rempli d'une solitude constante. Comme si personne ne vivait à l'intérieur, elle est devenue l'allégorie même de la mort. Ces murs abritent trois âmes errantes et mortes. Maman, Papa et moi.

Enfin pour mourir, faudrait-il encore qu'un jour j'ai été vivant.

Je ne prend pas la peine de re discipliner mes cheveux en bataille et m'approche du miroir de la salle de bain. Mes hématomes ont virés au vert. C'est moche, mais ce n'est pas pire qu'avant. Avec ou sans ces tâches qui couvrent mon visage, je reste ce garçon sans expression et sans charme. A quoi bon ? Le charme ce n'est pas pour moi, je n'en ai pas besoin. Pourquoi voudrai-je me sentir plaisant, conscients que personne ne me plaira jamais ? J'ai compris avec le temps que ma vie rimerait à être ce garçon éternellement insatisfait. Et je crois que je m'y suis fait à l'idée, je ne pourrais jamais rien y changer.

J'enfile mes baskets et ma veste en jean. Je m'apprête à partir, mais me souviens ne pas avoir déjeuné. Je n'ai pas faim, mon estomac ne s'est même pas encore mis à faire son habituel bruit bizarre, néanmoins je me force à faire demi-tour. Hier soir je suis allé consulter mon médecin suite aux coups de mon père. Je ne m'en tire d'ailleurs pas trop mal avec seulement trois points de sutures à l'arcade sourcilière, ce qui aurait pu être bien pire. Il m'a forcé à monter sur la balance et m'a regardé de ses yeux noirs, exaspéré. Le médecin qui me suit depuis, petit et qui m'a diagnostiqué insensible, n'a pas hésité à me réprimander face à ma perte de poids :

« Ethan je sais que tu peux te passer de manger sans difficultés à cause du plaisir que tu n'éprouves pas, mais il faut que tu comprennes que c'est vital pour ton fonctionnement. Tu ne peux pas continuer, ça va devenir une habitude et bientôt tu deviendras squelettique. »

Insensible (terminée)Where stories live. Discover now