Insensible (terminée)

Chapitre 31

Ethan

Il était midi, j'ai contemplé le ciel et me suis remémoré les paroles que j'avais échangées avec Stacy la veille. Jamais personne n'avait voulu un jour savoir ce qui me passionnait dans cette étendue infinie, et jamais je ne m'étais livré comme je l'ai fait hier avec elle. Etre quelqu'un d'autre, voilà ce que je lui avais répondu et c'est ce qu'elle m'avait répondu également. Car tous les Hommes ne se contentent jamais de ce qu'ils ont, mais lorsque l'on a rien comme moi, il est normal de s'imaginer être l'acteur d'une vie parallèle, non?

La sonnerie retentit et je descends des gradins en tentant d'ignorer l'attroupement inhabituel sur le terrain de football. Stacy et Josh qui étaient quelques secondes auparavant assis côte à côte sur les gradins d'en face, se sont rapidement levés et précipités vers les pom-pom girls afin de comprendre ce qui était en train de se passer. Moi, je m'en fichais pas mal. Un simple regard en direction de Skyler qui tentait de rattraper Jack, m'a permis de comprendre qu'une fois encore, une querelle avait éclaté au sein du groupe.

Je traverse les couloirs de mon habituelle démarche morne et mécanique, et sors déjà les cahiers de mon sac de cours que je me prépare à ranger dans mon casier. Un brouhaha persistant me parvient de l'entrée du bâtiment présageant l'intrusion d'une foule d'individus, mais je n'y fais pas attention.

- Putain mais il est où ?! S'impatiente une voix masculine près des toilettes pour hommes.

Je continue de marcher en direction de mon casier, mais m'arrête immédiatement lorsque la voix essoufflée de Stacy résonne derrière moi.

- Ethan!

Je me tourne face à elle et observe pour la première fois son regard briller d'inquiétude. Sa longue chevelure rousse est totalement désordonnée mais elle semble s'en ficher, sa respiration est saccadée et laisse sous entendre qu'elle a dû courir pour arriver jusqu'à moi.

- Il faut que tu partes, Ethan, Jack te cherche!

Pourquoi m'en veut-t-il encore ? Qu'ai-je fait, si ce n'est de m'évader quelques minutes en contemplant les cieux ?

Je ne peux fuir, je ne peux me cacher, sa haine envers moi est telle qu'il finira par me rattraper peu importe où j'irai. Et je crois qu'au fond je n'ai pas envie de lutter, ça ne changerait rien. Je l'ai compris avec les années, il me déteste beaucoup trop, pour qu'on puisse le dissuader de me faire quoi que ce soit. J'entends ses pas assurés se rapprocher de plus en plus de moi, mais la seule chose qui m'importe pour l'instant c'est de serrer Stacy dans mes bras, pour tenter de la réconforter.

- Ne t'en fais pas, je ne ressentirai rien.

Et c'est vrai n'est ce pas? Cette anomalie m'empêche d'avoir mal. Elle fronce les sourcils et tente de me persuader de partir entre des sanglots affolés, mais il est trop tard. Quelqu'un me tire en arrière et me voilà en face de ce grand garçon aux yeux sombres et remplis de la plus grande des férocités. Je n'ai qu'à regarder son visage pour comprendre à quel point il est encombré par cette souffrance que tout Homme cherche à éviter. En suis-je responsable ? Je n'en sais rien. Peut-être le saurais-je un jour, s'il ne m'abat pas aujourd'hui au milieu de tous ces lycéens qui ne me quittent pas du regard.

- Tout ça c'est de ta faute, tu le sais hein? Crie-t-il en serrant le col de ma veste en jean. Si j'ai ces putains de marques sous les yeux, si j'arrive plus à fermer l'œil de la nuit, si tout ce que je fais est un putain d'échec, et si...je suis incapable d'aimer Skyler c'est de ta faute aussi ! Il ferme les yeux douloureusement. Parce que c'est toi qui a été choisi...

Sa voix d'habitude si franche et rude, se brise et s'affaiblit. La haine qui animait son regard se transforme en une profonde peine, le rendant ainsi beaucoup plus vulnérable. Alors que je pensais qu'il allait me frapper et alors que j'imaginais déjà ce liquide rouge ruisseler le long de mon visage, il ne fait rien. Il se contente de me lâcher et de me regarder longuement comme si cet espace entre nous était rempli de non-dits. Il ne dit cependant rien, et s'effondre au sol les yeux humides, tel un enfant prisonnier de son sort.