Insensible (terminée)

Chapitre 22

Jack

Le goût métallique du sang remplit ma bouche, mais j'en ai rien à foutre. C'est pas la première fois que je reçois des coups, à force je les sens même plus. Ma tête tourne et me fait mal, pourtant je continue de marcher. J'aimerais regretter d'avoir bu autant, malheureusement ce n'est pas le cas. C'est le seul échappatoire que j'ai trouvé et qui marche pour me faire oublier mes problèmes et atténuer la douleur immense que me cause cette chienne de vie. Les yeux me brûlent et j'imagine la couleur rouge qui les anime. Cette putain de couleur qui serait même pas capable d'exprimer la colère et l'animosité que je contiens en moi. J'ai envie de hurler, de décharger toute ma souffrance sur le premier venu, de prendre ma moto et de partir le plus loin possible pour reprendre un nouveau départ. Tout reconstruire autre part. J'aimerais revivre et ne plus me trouver dans le corps de ce foutu mec malchanceux et qui n'est qu'un putain d'échec.

Je me laisse envahir par cette rage qui me bouffe de l'intérieur, et ne trouve pas d'autre moyen que de l'extérioriser en chialant. Ouais je chiale, comme un putain de gamin qu'aurait perdu ses parents ou fait tomber sa glace, sauf que moi, je le fais en plein milieu d'une route comme un pauvre clochard qui se rend compte que sa vie n'a pas de sens.

- Jack!

Une voix m'interpelle, mais je suis trop abattu pour la discerner. En fait, j'ai même pas la force suffisante pour me retourner et voir de qui il s'agit. Putain j'ai pas envie qu'on vienne me voir! Je n'ai ni l'envie de parler, ni de voir qui que ce soit. Je veux qu'on me laisse là échoué au bord de ce trottoir, incapable de luter contre le courant de cette marée trop forte.

- Attends Jack!

La voix est plus proche que tout à l'heure et plus essoufflée, comme si la personne venait de courir un marathon. C'est seulement lorsqu'elle me touche le dos, que je reconnais le contact de Skyler. Je l'entends qui s'assoit à côté de moi, mais ne relève pas le visage pour autant. J'ai pas envie qu'elle me voit chialer comme un pauvre type et qu'elle se foute de moi, alors comme d'habitude ma fierté parle à ma place, et elle lui dit d'aller se faire foutre et de dégager.

- Tu peux toujours courir, je bougerai pas d'ici.

Skyler fait partie de ces filles qui aiment avoir le dernier mot et avoir raison sur tout. Je le sais, parce que ça fait trois ans que je traîne avec elle. Je traîne avec elle, mais je connais rien d'elle. C'est pas comme si je voulais apprendre à la connaître de toute façon, elle me satisfait sexuellement et c'est suffisant. A la nuit tombée, ses caresses arrivent à réchauffer durant un court instant mes peurs frissonnantes. Les baisers qu'elle dépose parfois sur ma peau sont si doux, qu'ils attendrissent mes brûlures virulentes. Lorsqu'en m'endormant les senteurs vanillées de son corps imprègnent mes narines, alors j'arrive à oublier l'odeur écœurante de la vie. Un plan d'évasion parmi tant d'autres, qui hormis mon anatomie ignore tout de ce que je suis.

Je connais rien de ce groupe, et aucun d'entre eux ne me connaît vraiment. On est qu'une mauvaise blague. On traîne ensemble au lycée, on fume ensemble, on joue ensemble sur ce foutu terrain mais à part ça on est qu'une bande d'inconnus. Ce sont ces deux jours d'absences qui m'ont fait ouvrir les yeux, ces deux putains de jours qui m'ont fait réaliser que personne était là pour m'écouter quand j'en avais besoin.

- Jack dis moi ce qui t'arrive, je t'en prie.

Je sens sa main chaude qui caresse mon dos, j'aimerais la repousser mais je n'y arrive pas. J'ai pas besoin qu'elle ait pitié de moi, et qu'elle me réconforte comme si j'étais un pauvre mec incapable de s'en sortir seul. J'ai envie de lui répondre, de lui dire tout ce qui me passe par la tête parce que je sais que j'en ai besoin. Je suis si faible, que je serais capable de tout confier à n'importe qui, du moment qu'il soit prêt à m'écouter. Et c'est ce qui est si dangereux d'ailleurs, à cet instant je suis si accablé par la douleur que je pourrais laisser mon cœur parler sans retenue. Je pourrais le laisser livrer à n''importe qui tout ce qui l'étouffe depuis ces années...Mais je ne le fais pas. Je n'en ai pas la force. Ma langue me brule, mes cordes vocales sont irritées et mes poumons noyés dans la mer des solitaires.

- Arrête Sky !

Je la stoppe net, et peux voir malgré l'obscurité la conséquence qu'a ma voix rude sur son regard désormais apeuré.

-Putain fais pas comme si t'étais une amie sur qui je pouvais compter et à qui je pouvais tout dire, parce que je te jure que tu vas me rendre fou !

Sa main a quitté mon dos et s'est réfugiée dans la poche de sa veste. Elle reste à mes côtés, les jambes repliées contre sa poitrine et ne répond rien. Je n'ajoute rien non plus. Durant de longues secondes, le bruit étouffé de ses sanglots est la seule chose qui fend le silence au centre de nos deux corps. Et au fond, ça me brise le cœur. Ca me brise le cœur, mais je ne laisse rien paraitre.

- C'est pas juste Jack... Quand t'étais pas là, j'étais la seule à prendre ta défense et qui s'inquiétait vraiment pour toi.

J'entends dans sa voix tout la peine qui l'a submerge, mais j'essaye de me focaliser sur autre chose pour ne pas culpabiliser en y pensant. La haine par exemple.

- Personne ne s'inquiète pour moi Sky ! Vous pensez tous qu'à votre putain de personne, vous attendez chacun quelque chose de moi comme si j'étais en mesure de tous vous satisfaire, mais c'est pas possible! Vous voulez que je retourne en cours pour diriger votre putain d'équipe, pour être sur de gagner votre putain de match, mais quand est ce qu'on se demande ce dont moi j'ai besoin hein ?

- Dis le moi Jack. Dis moi ce que tu veux et ce dont tu as besoin, et je ferai tout mon possible pour que t'ailles mieux.

Elle paraît sérieuse dans ses paroles, et c'est ce qui m'effraie. Je ne sais pas ce que je veux, ni ce dont j'ai besoin pour aller mieux. Je ne sais même pas si je pourrais aller mieux un jour. Je ne me suis jamais livré à quelqu'un et je crois que j'ai peur de le faire. Merde je suis un putain de peureux maintenant ! Je sais pas comment on fait ce genre de trucs à la con, ce truc de mec fragile...Hors de question de dévoiler la facette craquelée que j'ai jusqu'à présent réussi à cacher. Surtout pas à Skyler, je n'ai pas confiance en elle, la boisson pourrait lui faire répéter mon plus beau gros secret à n'importe qui. Alors, je ne dirais rien à qui que ce soit. Même la principale personne concernée ignore tout de ce qui me tourmente.

- Dis moi, pourquoi est ce que je devrais tout te dire à toi ? Putain Sky, t'es personne ! T'es qu'une distraction qui arrive de temps en temps à me faire oublier, mais t'es rien de plus! Arrête de me faire croire que t'es ma confidente, parce que tu sais que c'est faux putain !

Voilà. Elle était là cette personne sur qui je venais de déverser toute ma colère. Cette personne qui n'avait rien demandé, mais qui pourtant venait de tout recevoir. C'est seulement après un court blanc, que je me suis rendu compte que les mots que je venais d'expulser avaient dépassé ma pensée. C'est pas ce que je voulais dire, merde!

Ses yeux se sont remplis de larmes, je venais de la détruire. Toute la rage que je contenais en moi, avait eu le besoin d'être expulsée sur quelqu'un qui ne le méritait pas. Putain Skyler, pourquoi t'es venu me voir alors que tu savais que c'était pas le moment! Pourquoi t'es pas restée sagement dans cette putain de baraque, à faire la fête comme tout le monde !

Elle s'est relevée, la tête haute et ses mèches raides parfaitement disciplinées autour de son visage, donnant l'illusion que jamais je n'avais froissé et souillé son âme. J'ai tenté de paraître aussi fort qu'elle, mais la nervosité de ma main tremblotante passant au travers de mes cheveux me trahissait vite.

- Désolé, c'est pas ce que je voul...

Je lui ai attrapé le poignet mais elle l'a repoussé violemment, comme si plus rien de ce que je pouvais lui dire n'avait d'importance.

- Tu sais quoi t'as raison Jack. Je suis qu'une putain de distraction. Et tu sais ce qu'elle te dit cette putain de distraction qui a voulu te venir en aide quand personne ne s'inquiétait pour toi ? Elle te dit de bien aller te faire foutre!

Elle a fait demi tour et est partie dans la nuit sur ses hauts talons aiguilles. Je l'ai regardée s'en aller et n'ai même pas cherché à la retenir. Je me suis effondré au sol, et ai prié Dieu pour qu'une voiture veuille bien m'achever sur cette putain de route.

Afin d'être libéré du tournant tragique qu'a toujours pris mon existence.