Insensible (terminée)

Chapitre 17

Stacy.

Je suis partie. J'ai déguerpi aussi vite que possible loin de cette putain de cafétéria, et ai tenté en vain d'effacer chacune des paroles que cet abruti avait ancrées dans ma tête. Tout ce qu'il m'a dit est faux, ce n'est qu'un connard qui a ressenti le besoin de se déchaîner sur quelqu'un. Manque de bol, c'est moi qui en ai payé le prix. Ça ne change pas de d'habitude, je me trouve toujours au mauvais endroit et moment. D'ailleurs au fond, qu'est ce qui m'a poussé à le rejoindre à sa table de solitaire? Si j'avais su la tournure désastreuse que prendrait notre échange, je n'aurais même pas laisser mon regard croiser le sien.

Ce n'est pas la première fois qu'on me balance des crasses à la figure, je ne compte plus le nombre de critiques que j'ai reçues et qui ont chaque fois un peu plus détérioré ma personne sur les trois dernières années. Mais j'ai changé, j'ai réellement essayé de devenir une meilleur personne ,digne d'être aimée et respectée. Je me suis remise en question chaque soir et enfouie dans mon lit, pour finalement réussir à trouver ce qui clochait chez moi. Ce qui me rendait si détestable. Et j'avais fini par comprendre. J'avais enfin compris que mon caractère était le facteur qui faisait de moi cette personne indigne d'être aimée. J'avais enfin compris que mon impulsivité incontrôlable et ma touffe rousse, ne se combinaient pas ensemble. J'avais pris conscience qu'il fallait que je change. Cela m'a pris du temps, j'ai même plusieurs fois voulu abandonner mes efforts en me disant que je ne pourrais jamais renier ma vraie personnalité...

Et puis maman a rencontré ce mec, et tout est allé très vite, moins d'un an après on était déjà en train de boucler nos cartons de déménagement, direction Seattle. C'est à ce moment que je me suis dit que c'était le moment parfait pour recommencer à zéro, pour devenir la personne que je voulais tant devenir. Cette fille qui ne ferait pas tout de travers, qui réfléchirait deux fois avant de dire et de faire quelque chose, qui cesserait de toujours tout foutre en l'air. C'est comme ça que cette version de moi même a vu le jour. C'est à cause de toutes ces choses que je me retrouve dans le corps de cette Stacy, peureuse et trouillarde à l'idée de re commettre une erreur. Cette Stacy qui angoisse chaque jour un peu plus, en imaginant que sa véritable nature finira par la rattraper.

Je sais que cette version de moi n'est pas la bonne, que ce n'est qu'un masque que j'ai fait sur mesure pour cacher les imperfections qui ont fini par détériorer mon être tout entier. Mais je sais aussi que sans ce masque rien n'aurait jamais pu changer. Et j'aime penser que cette Stacy n'est qu'une version améliorée de moi-même. Une version qui me permet aujourd'hui d'être entourée d'une bande d'amis et qui me permet de ne pas me retrouver seule. Une version qui pourrait me faire passer de cette fille détestable, à cette fille admirable.

Je continue de traverser la grande pelouse et me dirige tout droit vers le stade de foot, où se trouvent déjà Ashley et Skyler. Je lutte pour ne pas me briser comme une pauvre poupée de cire au moindre de mes pas, et me retiens de toutes mes forces pour ne pas m'effondrer au sol noyée dans la marée que provoqueraient mes larmes, si je leur donnais la possibilité de couler. Je réentends ses mots, et revois son regard bleu dépourvu de toute sorte de pitié et de compassion. Et j'ai mal, putain! Mon cœur me fait mal, mes poumons me font mal, même ma peau commence à me démanger comme si ce costume était soudain devenu trop serré. Je ne m'appartiens plus, pourtant il faut que je me ressaisisse. Je ne suis pas une menteuse, je ne suis pas une peureuse, je fuis simplement la vie qu'on m'a assignée et que je refuse. Peut-on me reprocher de vouloir être heureuse?

- T'en a pris du temps, viens ils sont encore en train de s'échauffer.

Je rejoins les deux filles et m'accroche à une des rambardes autour du stade, pour ne pas m'écrouler au cas où mes jambes cesseraient de supporter le poids de ma peine. Ashley et Skyler portent toutes les deux une simple veste en cuir, et ne semblent même pas ressentir le vent hivernal qui nous attaque de tous les côtés. Les jeans qu'elles portent moulent leurs fessiers parfaitement rebondis, et les hautes bottes qu'elles ont aux pieds rendent leurs jambes interminables. Même de dos, elles sont parfaites. Même de dos, leurs silhouettes donnent envie d'être admirées. Mon regard s'abaisse une nouvelle fois à mes vieilles Converses jaunies. Je suis une tache. Une tache qui n'arrive pas à la cheville des deux filles qui l'entourent, une tache qui pourrit le paysage autour d'elle. Une tache qu'on a essayé à plusieurs reprises de cacher et de faire disparaître sous un tas de produits, mais qu'on a jamais réussi à ensevelir à cause de sa couleur sombre qui remontait toujours à la surface.