Chapitre 5

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Destin

Garé dans la dite rue, devant la maison, Thomas en examinait la façade. Une construction en L, avec un bow-window face à la rue, prolongé par un mur aveugle et une double porte sous une arche rompant la monotonie de l'ensemble. Un buisson d'hortensias était calé dans l'angle de la grande avancée ; les grosses fleurs d'un fuchsia éclatant contrastaient avec l'enduit terne des murs. Jolie baraque ! Pas vraiment aux goûts du jeune homme, mais il n'était pas là pour l'acheter.

Sur le siège passager, son classeur rouge dans lequel tout était archivé : les copies de ses papiers d'identité, celles de ses parents, les copies de leurs revenus respectifs, des avis d'impositions, des différents loyers honorés, ses relevés de comptes, les fiches de paie de ses emplois d'été des années précédentes. Satisfait, il attrapa le classeur qu'il cala sous son bras, descendit de voiture et avança vers l'entrée. Un doigt posé sur le bouton de la sonnette, il n'eut pas le temps d'appuyer que la porte s'ouvrit déjà. Une femme apparut dans l'embrasure. Tom, pris au dépourvu, sourit et balbutia, une main tendue vers la femme :

— Re-bonjour, on s'est eus au téléphone. Je viens pour l'annonce.

— Oui, entrez, dit-elle sans lui serrer la main.

Entre doute et amusement, le jeune homme franchit le seuil de la maison et attendit dans le vestibule que son hôtesse fermât la porte. Une forte odeur de café et de cigarette froide lui sauta aux narines. Écœurante ! Sans un mot, la femme se tourna vers lui et l'invita d'un geste à la suivre. La gorge irritée par le tabac, il esquissa à nouveau un sourire crispé mais celle-ci, sans réaction, l'escorta dans un long couloir en direction d'un escalier dont ils gravirent les marches vers l'étage. Bon ! Ça promet, pensa Thomas.

Une fois sur le palier, elle ouvrit la porte d'une pièce sur la gauche qui s'avéra être une chambre. Puis elle poussa la porte du milieu qu'elle désigna comme étant une salle de bain avec WC. Il y avait une autre porte à droite mais elle demeura close. La femme bascula sa tête sur le côté pour faire face au jeune homme ; ses cheveux bruns parsemés de fils d'argent dansèrent devant son front. D'une main nerveuse, elle rabattit les mèches derrière son oreille et posa un regard absent sur Tom. Quel âge pouvait-elle avoir ? Cinquante ans ? Soixante ans ? Malgré un charme terni mais évident, son visage fatigué, sans expression, et ses traits tirés empêchaient Thomas d'estimer l'âge de son hôtesse. D'une voix monocorde, elle dit :

— Voilà ! Vous avez la jouissance exclusive de l'étage.

Les deux bras serrés autour de son classeur plaqué contre son torse, Tom avança vers la chambre et passa la tête dans l'embrasure. Comme pour décrire ce qu'il ne pouvait que constater, la femme énuméra :

— La pièce fait environ vingt mètres carré ; plusieurs rangements et placards, ainsi qu'un petit réfrigérateur et une plaque électrique sont mis à votre disposition. Pas de cuisine grasse, ou trop odorante ! Je ne voudrais pas avoir à refaire la tapisserie et les peintures après votre départ, ni changer le mobilier parce que vous auriez abusé sur les frites. Les pièces du rez-de-chaussée vous sont interdites. De toute façon, elles sont verrouillées de l'intérieur. Venez !

Et, sans rien ajouter, elle s'engagea dans l'escalier, vers le rez-de-chaussée. Tom, toujours aussi perplexe, le sourcil levé et une moue dubitative sur les lèvres, la regarda dévaler les marches. Il n'avait pas dit un mot depuis le début de la visite ; de toute façon, cette présentation se passait de commentaire. Et puis, faute de mieux... Avait-il d'autre choix ? Il rebroussa chemin, dans le sillage de maîtresse de maison, et ils longèrent le couloir dans le sens inverse.

À l'allée, Thomas n'avait pas remarqué que le long corridor desservait plusieurs pièces, toutes closes. Sur chacune des portes, un verrou ! De quoi cette femme avait-elle peur ? Avait-elle gardé de mauvais souvenirs des frasques des précédents locataires ? La quinquagénaire posa ses yeux sur lui, une question suspendue sur ses lèvres, lorsqu'un cri, tel une complainte, s'éleva. Il la vit se raidir et ramener une mèche de cheveux derrière son oreille, d'un geste nerveux. Instinctivement, il tourna la tête vers le fond du couloir. Puis son attention revint vers la femme qui n'avait pas bouger, le regard toujours rivé vers l'étroit passage. Se sentant observée, elle pivota à peine et poursuit :

— Le loyer est de 250 euros, comme indiqué dans l'annonce. Des questions ?

La voix chevrotante au loin continua d'appeler. Tom fit signe que 'oui' :

— Vous ne voulez aucun papier ? Rien ? demanda-t-il en soulevant le dossier rouge, au classement irréprochable, calé dans le creux de son bras depuis le début de la visite.

— Peu importe ! Tant que vous me payez à la fin du mois.

Le coin de la bouche de Tom tressauta. C'est de mieux en mieux... Il ne comprenait pas l'attitude de cette femme, son manque de dynamisme, d'entrain, cette nonchalance. Irrité, il se força à sourire et ajouta :

— Je peux m'installer quand ?

— Comme bon vous semble, lâcha-t-elle avec un geste ample de la main.

Étrange bonne femme, étrange maison. L'étudiant osa un regard vers le couloir et soupira. Puis, s'adressant de nouveau à la quinqua :

— Aujourd'hui ? C'est possible.

— Faites donc. Vous connaissez le chemin.

Elle allait s'engouffrer dans la seule pièce à la porte entrouverte, lorsque Tom la ré-interpela :

— Mes affaires sont dans la voiture stationnée devant chez vous. Le temps de quelques allers-retours et je ne vous embêterai plus. Mais... j'ai vu que vous aviez un garage. Il est occupé ?

— Non ! Seulement, la location ne comprend que la chambre. Pas le garage !

— Oui, oui. C'était juste histoire de savoir si ma voiture ne dérange pas, garée dans la rue, le long du trottoir.

— Non. Autre chose ?

Tom accusa le coup et ravala sa fierté. Rien de plus désagréable que de se faire remettre à sa place par une inconnue. Les mâchoires serrées, il posa sa seconde question :

— Vous avez un double de clés à me donner...

— J'allais justement vous les chercher avant que vous ne m'interrompiez !

Booh ! Pas facile, la communication... ça risquait d'être sport.

Il la regarda s'éloigner, les sourcils dressés, exaspéré, puis ouvrit la porte et sortit, aussi bien pour s'aérer l'esprit et sortir de cette ambiance électrique que pour décharger la voiture.

Après un rapide tour des placards, tous vides, et des allers-retours pour transporter toutes ses affaires jusque dans la chambre, il jeta enfin son dernier sac sur le matelas nu et embrassa la pièce d'un coup d'œil circulaire : passer la porte, on trouvait le lit, placé dans l'angle à gauche. Le long du même mur, à quelques centimètres de la tête de lit, une fenêtre ; puis dans l'angle opposé au lit, un long plateau servant de bureau intégré à une enfilade de meubles bas au-dessus desquels courait un plan de travail ; à leur suite, une cuisine équipée d'un évier et d'une plaque électrique ; ces éléments étaient prolongés par un meuble encastré dans l'angle, à la droite de Thomas ; enfin, dans leur continuité, un réfrigérateur, une armoire, une bibliothèque et un fauteuil usé. La petite pièce était bien agencée et plutôt agréable. Ne lui rester plus qu'à remplir la penderie de ses vêtements et les placards de diverses boîtes de conserve et sachets de pâtes. Une alimentation saine ?! Pff ! Avait-il le temps ? Durant les quelques mois avant le second semestre, oui ! Il s'y mettrait peut-être. Pour l'heure, il devait acheter de quoi manger pour ce soir et le reste de la semaine, et du linge de lit ; la couette à sa disposition était peu ragoûtant et son duvet n'était pas suffisant. Pour l'oreiller, pas de problème, puisqu'il avait récupéré le sien dans l'ancien lit conjugal. Argh ! Les dents serrées, il ravala sa colère. C'était fatiguant et si frustrant de devoir repartir de zéro ! De faire un pas, puis un second vers autrui, de s'investir dans une relation sans certitude de retour. Pour l'instant, il s'occuperait de lui !

Les magasins ne donnaient plus de sacs ; à moins de payer pour un sac en plastique. Il avait fait sans, même s'il aurait pu penser à en prendre. Mais, pas encore habitué qu'il était à faire les courses seul, il se retrouvait donc, les bras chargés, à devoir lutter pour fermer le coffre, ouvrir la porte d'entrée et monter les escaliers, ses courses en équilibre précaire dans le creux de son coude, entourant le tout de sa main libre pour le maintenir d'aplomb. Sur le palier, devant sa chambre, il se débattait avec ses achats, à la recherche de ses clés, lorsqu'une voix le fit sursauter :

— Salut !

L'Amour, Par-delà le Temps (en cours de réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant