Chapitre 14

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Au-delà des apparences

Une main dans sa poche pour récupérer son téléphone, toujours sur l'application « lampe-torche », Tom braqua le faisceau lumineux de l'appareil dans la pièce. Des cartons y étaient entassés, les uns au-dessus des autres, empilés contre chacun des murs, rapetissant le volume déjà étouffant du garage. Pour ne laisser qu'un grand espace vide au milieu. Il longea les piles de cartons et, avec curiosité, glissa le rayon de lumière sur les faces inclinées, couleur poussière, qui se succédaient à mesure qu'il avançait d'un pas lent. Affaires Victoire : Papiers, Impôts, divers... Vêtements Victoire. Une dizaine de cartons aux inscriptions identiques se suivaient. Une vie dans des boîtes. Tom frissonna. Pathétique !

Le trait lumineux de son portable lécha le mur de parpaings puis recula dans un renfoncement... Une porte, putain ! Il y avait une putain de porte... une ouverture directe entre la maison et le garage. Abruti ! Comment n'y avait-il pas pensé ? Il serra les dents. De toute façon, c'était une pièce à laquelle il n'avait pas accès. Il se maudissait ; et son cœur cogna dans sa poitrine lorsque le disjoncteur fut éclairé par le halo blafard. Le compteur se trouvait , sur le mur attenant à la maison. Avec le faisceau de son téléphone, il éclaira le boîtier ; un sentiment contrarié de satisfaction l'envahit alors qu'il approchait sa main libre du commutateur. Il l'abaissa pour l'enclencher... Il y eut un clic ! Et une gerbe d'étincelles bleues lui piqua la pulpe des doigts.

Ouch ! Merde...

En une milliseconde, il avait retiré sa main : une châtaigne. Il venait de prendre une châtaigne. Ça fait chier ! Cette journée est interminable ! Surpris, vexé, il dorlotait son membre engourdi, puis la douleur finit par passer, mais son cœur battait toujours la chamade. La vache ! Un bourdonnement grave résonna soudainement. Il détourna la tête et se rendit compte que cela provenait d'un combiné frigo-congélateur. Par curiosité ou par bêtise, il ouvrit le plus grand des compartiments et, dans un cliquetis éblouissant, l'intérieur du frigo s'illumina, exposant son contenu à la vue de l'indiscret. Des médicaments. Il en prit un pour lire le nom barbare inscrit sur la boîte : Oméprazole. Puis jeta un coup d'œil aux autres : Nasacort 55, Donépézil, Rivastigmine. Aucune idée ! C'était du chinois pour lui. Ça aurait été du poison que cela aurait été pareil.

Bon ! Rien à faire... Ce ne sont pas mes histoires.

Il pivota vers le renfoncement que formait la porte. Que se cachait-il derrière celle-ci ? Une pièce de la maison ? Que pouvait-il y trouver d'autre ?! Il tendit une main vers la poignée, en baissa la clenche et poussa la porte qui s'ouvrit sur une cuisine éclairée par des néons fixés au plafond. La lumière crue pétrifia Thomas qui fit quelque pas en chancelant. Abasourdi par l'aura de cette pièce, propre, mais comme figée dans les années quatre-vingt, le regard du jeune homme semblait vouloir s'échapper, courant à la recherche d'un peu de vie. Il traversa la cuisine à pas feutrés, passant devant une porte entrouverte par laquelle filtrait une lumière tamisée. Il ne parvenait pas à détacher son regard de cette fissure éclatante dans l'immensité sombre. Encore un pas et il hasarda un coup d'œil par l'interstice : un petit salon obscure, dans la pénombre de laquelle un canapé-lit déplié se distinguait à peine. Puis une pièce en enfilade d'où émergeait cette lumière éclairant une silhouette, de dos, affairée avec les soins à sa mère. Sûrement la propriétaire ! Ce fut alors que cette dernière s'écarta et qu'une autre forme se découpa sur les draps blancs d'un lit. Créature chétive au visage tout aussi pâle. Parcheminé. Leurs regards se croisèrent. Rien qu'un instant. Car Thomas détourna vite les yeux, dérangé par un je-ne-sais-quoi de familier dans ce regard fané. Il pressa le pas, et un frisson glacé lui parcourut l'échine. Sensation décuplée par son sweat trempé qui lui collait à la peau. Et le floc-floc de ses semelles sur le carrelage ! Insupportable. Il défit ses Converses, les déposa au pied de l'escalier dont il gravit les marches quatre à quatre. Cette journée semblait interminable ! La fatigue et le froid avaient fini de ruiner/d'achever les derniers vestiges d'altruisme en lui. Seulement, il ne semblait pas en avoir fini avec cette journée.

Sur le palier, Agathe. Lorsqu'elle le vit, elle souffla, paniquée :

— C'était quoi ?

Ses yeux affolés couraient de Tom au bas de l'escalier.

— L'orage. Les plombs qui ont sautés ! lança Thomas d'une voix caverneuse.

La jeune femme fronça les sourcils, comme pour intégrer cette information puis son visage se détendit et, avec un sourire timide, elle bredouilla :

— Ne te moque pas, mais je n'arrivais plus à trouver la porte de ma chambre. J'avais l'impression d'être enfermée, prise au piège.

— Je ne permettrais pas. Tu as l'air aussi affolée que notre proprio.

— Par contre, s'il y a une personne dont on pourrait se moquer, c'est toi ! Tu ressembles à un chat mouillé...

Elle se mit à pouffer mais, voyant le regard noir de Thomas, étouffa son fou-rire dans ses mains.

— Pardon... C'est nerveux. En tout cas, merci.

— Pourquoi ?

— De m'avoir permis de ne pas me cogne partout en cherchant à sortir...

Le jeune homme sourit puis se rembrunit aussitôt.

— Sérieusement ! Tu crois qu'elle n'aurait pas pu le faire !

— Qui ça ?

— La proprio ! lança-t-il avec un geste nerveux vers l'escalier.

La jeune femme croisa les bras, une moue déçue sur les lèvres :

— Pourquoi tu dis ça ?! Tu ne connais pas sa vie... Ne la juge pas !

Tom haussa les épaules. Face à son entêtement, Agathe maugréa :

— Elle doit s'occuper de sa mère... La vieille dame est sous assistance respiratoire la nuit, à cause de son apnée du sommeil, et a besoin de soins constants. Tu crois que c'est facile, toi !...

— Non...

La réponse de Thomas se perdit dans son souffle alors qu'il tournait la tête vers le bas des marches, que la pénombre engloutissait.

Égaré entre colère et fatigue, il n'avait fait que voir, sans comprendre : la cuisine datée, le canapé-lit, la chambre devenue hospice, l'étage aménagé pour des étudiants. Cette femme, là, en-bas, que les maigres revenus ne permettaient pas de financer une maison de retraire, sacrifiait-elle sa vie pour le bien-être de sa mère ?

Il se sentit minable. Et se tourna vers Agathe. Le regard de la jeune femme avait changé ; elle posait maintenant sur lui un regard bienveillant, presque attendri. Tom en fut décontenancé et se sentit obligé de se justifier, ses doigts triturant ses cheveux mouillés :

— Pardon. Je...

— Je m'excuse aussi. Je me suis emportée. Tu ne pouvais pas savoir.

— Mais j'aurais pu le deviner. (Après une pause, il ajouta en riant :) J'aurais fait un piètre détective.

En réponse, les lèvres d'Agathe s'étirèrent avec langueur, et elle baissa les paupières, perdue dans ses pensées, tandis que Tom la dévorait des yeux. Une flamme, ardente et vive, embrasa sa peau lorsque la jeune femme sourit et pencha la tête sur le côté. Ses boucles brunes dégringolèrent en cascade sur ses épaules nues. Elle les ramena en queue de cheval, dégageant sa nuque un instant. Ce simple geste, d'un érotisme troublant, alluma un brasier dans le ventre de Thomas. Il fit un pas vers elle mais du bruit monta du rez-de-chaussée, crispant les muscles du jeune homme. La magie s'était envolée. Alors, Tom lança, irrité :

— Il est tard. Je me lève tôt demain.

— Alors, bonne nuit.

Agathe lui souriait, mais il était déjà retourné dans sa chambre.


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L'Amour, Par-delà le Temps (en cours de réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant