Chapitre 32

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Fragile

Inquiet, éberlué, Thomas regardait ses doigts trempés de sang. Il y eut ensuite un craquement, sonore, dans sa cloison nasale, la pression dans son crâne diminua, et un flot abondant d'hémoglobine s'écoula par ses narines avant que Tom n'ait pu s'y préparer. Une main en coupe sous son nez, il se leva et se précipita vers l'évier, attrapant au passage le torchon qui était suspendu à la poignée d'un des placards bas. Face à l'évier, il fit couler l'eau froide, passa ses mains tachées sous le filet d'eau et se rinça le nez, la bouche et le menton. Le sang s'était glissé entre les commissures de ses lèvres, lui laissant un goût ferreux sur la langue. À chaque inspiration, l'odeur âpre lui descendait dans l'arrière de la gorge, si bien que son palais lui semblait ensanglanté. Penché sur le robinet, il y aspira un peu d'eau et la fit tourner dans sa bouche et contre l'intérieur de ses joues, puis la recracha dans l'évier. L'eau était maintenant claire et son nez ne saignait plus. Il se redressa et sentit comme un nœud au creux de son estomac : le second effet « kisscool » sourit-il, en pensant à la pub.

La faim !

Il se prépara une énorme assiette de crudités, puis enchaîna avec une plâtrée de pattes à la bolognaise et finit son repas avec une crème dessert au chocolat et une clémentine.

Repu, il s'affala dans le fauteuil et son esprit divagua sur des sujets aussi divers qu'anodins.

Mais il ne devait pas s'appesantir, ses révisions l'attendaient.

Installé à son bureau, devant ses fiches et ses bouquins, la montre de gousset dans sa paume droit, il fit défiler les secondes, les minutes, les heures... Le temps se précipita ; vision distordue, réalité accélérée.

Puis il enclencha le bouton poussoir.

Toujours ce choc du retour, toujours cette douleur dans ses tripes.

Un coup d'œil à son portable pour connaître l'heure : était arrivé le moment de dîner et celui où Agathe déposait son petit mot.

Un rendez-vous que Tom ne voulait pas manquer.

Croiser Agathe était devenu son petit rituel salvateur. Il attendait, fébrile et excité, trépignait d'impatience, les yeux rivés sur le plancher, guettant presque l'instant où le bout de papier apparaissait sous la porte de sa chambre.

Mais toujours pas de mot : le seuil restait désespérément vide.

Au bout de cinq minutes, déçu, Thomas se leva. La faim et la fatigue s'installaient dans son corps. Après un yaourt nature et un grand bol d'un mélange de fruits secs et de fruits frais – clémentines, pommes, bananes –, coupés en quartiers, il s'échoua dans son fauteuil et pivota vers la porte, verrouillée à double tour. Il n'attendait personne. Juste un morceau de papier glissé en toute discrétion par Agathe. Qui n'arrivait pas ! Et si ce fameux papier tant désiré apparaissait, Thomas ouvrirait-il la porte à la jeune femme ? Pas sûr ! De toute façon, il ne voulait pas rompre sa tranquillité. Aujourd'hui, du moins ! Il désirait simplement savoir si sa voisine de palier pensait à lui, s'il existait pour quelqu'un. Ce petit jeu entre eux, ce « rendez-vous », signifiait-il qu'elle s'intéressait à lui ?

Les yeux rivés sur la fente... il attendait. Quelle heure était-il ? Presque six heures. Était-il trop tôt pour qu'Agathe soit rentrée de la Fac ? Thomas changea de position dans son fauteuil. Les coudes posés sur ses cuisses, il se pencha en avant, son menton calé dans ses paumes, et son regard erra sur les lames du parquet. Bientôt, son esprit vagabonda à la recherche de formes et de dessins évoquant vaguement des visages humains, sur les lattes striées. Ses yeux se posèrent à nouveau sur la fente au bas de la porte. Toujours pas de petit rectangle de papier.

Un grand vide s'installa dans sa poitrine et balaya son excitation, laissant place à la déception et à une pointe de tristesse. Il ne voulait pas que l'amertume l'envahisse. Avec un pincement au cœur, il se leva et son regard fut happé par la fenêtre. La lumière du soleil couchant pénétrait dans la chambre, douce et apaisante. La pièce plongea lentement dans la pénombre. Tom ne prit pas la peine d'allumer le plafonnier. Il sentait sa vision se brouiller, ses pensées s'entremêlèrent. Le sommeil engourdit son corps et étreignit son cerveau. Une chape de plomb s'abattit sur ses paupières. Incapable de se mouvoir, il resta debout, les bras ballant, lourds d'épuisement. Ce ne fut qu'au prix d'un incroyable effort qu'il réussit à défaire son tee-shirt, puis son pantalon de jogging, les éparpillant sur le chemin qui le séparait du lit, et se laissa tomber dans celui-ci. 

L'Amour, Par-delà le Temps (en cours de réécriture)Where stories live. Discover now